De Delphine Lehericey
Avec François Berléand, Kacey Mottet Klein, Maria Ribot
1h 23min / Comédie
Synopsis et critique : Utopia
Inénarrable François Berléand ! Quel régal de le voir en interprète principal de cette comédie à la fois tendre et combattive ! Pourtant cette affaire-là semblait bien mal emmanchée. Tant d’années de complicité entre Germain et sa moitié balayées d’un revers du sort. Plus personne pour lui apporter le petit déjeuner au lit, partager ses lectures, grattouiller la tête du chat, remplir la gamelle du félidé et le frigo de petits plats équilibrés. Eh oui, Germain faisait peut-être bien partie de ces troupeaux d’hommes qui se laissent porter par le dynamisme de leur conjointe et semblent incapables de faire un pas sans leur aimée ! Qu’elle parte en premier ? Ce n’était pas du tout prévu ! En témoigne le monte-personne inutile qui trône au bas de l’escalier et qui était bel et bien destiné à notre homme : c’est Lise, toujours élégante, toujours dynamique, curieuse de nouvelles expériences, qui était censée tenir la barre jusqu’au bout et c’est lui, Germain, du bas de ses 75 balais, en doux rêveur lunaire, peu intéressé par les choses matérielles, qui était censé devenir impotent, se laisser transporter, cocooner, bercer en grinchant parfois, parce que ça, c’est dans sa nature et qu’on ne se refait pas. Toute une vie pleine de petits rituels rassurants, balançant entre tutoiements et vouvoiements élégants, à lire et relire ensemble à voix haute des chapitres de livres, véritables madeleines de Proust, de celles qui enjolivent une existence. Tandis que Lise virevoltait entre de multiples activités à l’extérieur, Germain le casanier se plaisait à paresser dans l’herbe de ses souvenirs et cela les liait comme deux inséparables, complémentaires dans une jouissive complicité.
Lise partie, c’est non seulement un univers qui s’écroule, mais un autre qui vient envahir la placidité du quotidien. Même pas le temps de pleurer tranquillement, de rester un peu en tête-à-tête avec son deuil, de goûter une solitude réparatrice. D’emblée le fils aîné, Matthieu, se sent investi d’une mission de protection de son vieux papa : il répartit les rôles, distribue les tâches, impose aux membres de la famille une intenable rotation des visites au veuf forcément en danger de dépression. Sans demander leur avis aux intéressés et encore moins à son paternel, Matthieu entreprend d’organiser au millimètre l’existence de Germain, de le mettre sous contrôle : tel jour ce sera sa sœur qui viendra, tel autre sa fille, telle personne fera la lessive, telle autre la cuisine. Jusqu’à la voisine qui se retrouve réquisitionnée ! Voilà Germain tributaire d’un agenda de fer, sans plus une seconde laissée à sa liberté. Sans doute par habitude, il se laisse faire sans trop protester, hébété par le vide qu’a laissé l’absente. Puis, sans mot dire, il va se rebeller à sa façon espiègle, déambulant entre les consignes tel un adolescent rebelle, protégeant farouchement son jardin secret de ces inquisiteurs qu’il a mis au monde et qui se croient autorisés à le materner. En cachette il fera fi de leurs bonnes intentions imbuvables et fera un entrechat de côté immense pour tenir une promesse faite à son grand amour : malgré sa réticence à toute activité collective, il va accepter de prendre son relais dans le spectacle de danse qu’elle préparait au sein d’une petite troupe mêlant professionnels et amateurs.
Notre Germain bedonnant, le corps pataud, va donc reprendre le rôle laissé vacant par sa svelte épouse ! Les autres danseurs le regardent incrédules, le décalage semble risible, insurmontable à tous. À tous ? Sauf à La Ribot, l’incroyable chorégraphe. Ce corps paresseusement indomptable, noué de peine rentrée, la touche, et même l’inspire. L’occasion de montrer que la danse peut transcender les apparences, réparer les blessures, qu’elle est faite pour tous, vitale, capable d’insuffler un nouveau souffle chez n’importe qui… Et nous allons vivre l’envolée de Germain vers de nouvelles complicités, vers la vie…