[Cinéma] – VOST (FI) – De Aki Kaurismäki
Avec Alma Pöysti, Jussi Vatanen, Janne Hyytiäinen
1h 21min / Drame, Comédie, Romance
+ Réincarnés – 2023/FR/2mn (court métrage précédant le film)
Synopsis et critique : Utopia
« Même si j’ai acquis aujourd’hui une notoriété douteuse grâce à des films plutôt violents et inutiles, mon angoisse face à des guerres vaines et criminelles m’a enfin conduit à écrire une histoire sur ce qui pourrait offrir un avenir à l’humanité : le désir d’amour, la solidarité, le respect et l’espoir en l’autre, en la nature et dans tout ce qui est vivant ou mort et qui le mérite. Je tire au passage mon trop petit chapeau à Bresson, Ozu, et Chaplin, mes divinités domestiques. Je suis cependant le seul responsable de cet échec catastrophique. » (Aki Kaurismäki)
« C’est une chanson qui nous ressemble, Toi tu m’aimais, et je t’aimais. Nous vivions tous les deux ensemble, Toi qui m’aimais, moi qui t’aimais. Mais la vie sépare ceux qui s’aiment, Tout doucement, sans faire de bruit. Et la mer efface sur le sable, Les pas des amants désunis » (Extrait des Feuilles Mortes, chanson d’Yves Montand, paroles de Jacques Prévert)
C’est amusant et étonnant mais le formidable nouveau film tant attendu de Kaurismaki fait mentir non seulement la note d’intention du réalisateur mais aussi les paroles de la légendaire chanson triste d’Yves Montand. Car contrairement à ce que prétend, dans un exercice drolatique d’autodérision, l’immense cinéaste finlandais, il n’a jamais cessé de distiller l’espoir à travers un humanisme communicatif, certes contrebalancé par des personnages passablement taiseux et souvent dépressifs mais qui savaient voir la lumière au bout du tunnel grâce à la rencontre et à l’amour ou l’amitié désintéressés. Quant à la chanson Montand, elle est totalement prise à contrepied dans ce film à la fois infiniment tendre et drôle qui raconte un amour inespéré entre deux êtres que ce sentiment semble avoir quitté plusieurs décennies auparavant. On craignait d’ailleurs de ne plus revoir sur les écrans le cinéma unique de Kaurismaki, puisque le cinéaste avait annoncé sa retraite en 2017 après L’Autre côté de l’espoir, deuxième volet d’une trilogie sur les migrants entamée avec le formidable Le Havre avec Jean-Pierre Daroussin et le regretté André Wilms.
Les Feuilles mortes ne s’inscrit pas dans cette trilogie, puisque le film est censé clore la tétralogie sur les prolétaires, après Shadows in paradise, Ariel et La Fille aux Allumettes, trois œuvres du début de la carrière de Kaurismaki. Le film confronte deux quadragénaires solitaires qui, réunis par le hasard lors d’une nuit à Helsinki, vont croire de nouveau en l’amour. Mais avant que tout cela ne puisse se réaliser, le chemin va être long et tortueux, car dans un destin chaplinesque (Kaurismaki est quand même un héritier de Chaplin, dont le cinéma aurait été traité à une sauce minimaliste à la Bresson, croisement entre le burlesque et une mise en scène à l’épure extrême), les numéros inscrits sur des bouts de papiers s’envolent et l’incorrigible alcoolisme du garçon est un obstacle non négligeable (petit clin d’œil autobiographique peut-être de Kaurismaki, dont l’amour excessif de la bouteille est un secret de polichinelle).
Le génie de Kaurismaki est de décrire un univers au demeurant sinistre (tout le film est porté par les nouvelles pas rassurantes de la guerre en Ukraine à la radio, rappelant que la Finlande a une frontière de plusieurs centaines de kilomètres avec le dangereux voisin russe), autant concrètement que visuellement, en le transcendant avec un humour burlesque et une poésie incomparable. En cela Kaurismaki ne fait que décliner depuis près de 4 décennies le même regard à la fois pessimiste et bienveillant sur l’humanité, préférant les histoires de petites gens aux grandes démonstrations sociales. On lui en sait gré et on ne peut qu’espérer qu’il reportera encore une fois sa retraite.