Le procès Goldman

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De Cédric Kahn

Avec Arieh Worthalter, Arthur Harari, Stéphan Guérin-Tillié
1h 55min / Policier, Drame, Historique, Judiciaire

Synopsis et critique : Utopia

Il est question dans ce film absolument emballant du retentissant procès intenté à Pierre Goldman, qui défraya en son temps la chronique judiciaire. En son temps, c’est-à-dire en 1976, ça remonte un peu. Pour les relativement jeunes générations, Pierre Goldman n’est autre que le demi-frère (aîné) de l’immarcescible Jean-Jacques (brièvement incarné dans le film). Alors que le cadet n’a pas encore percé et gratouille discrètement sa guitare au sein du groupe Taï Phong, Pierre Goldman est alors une personnalité emblématique de l’extrême gauche française. Un personnage rugueux, étonnant et clivant, pas forcément agréable mais au parcours passionnant, né à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, élevé par des parents résistants, polonais, juifs et communistes. Après avoir fait le coup de poing sur les barricades parisiennes de mai 1968, le jeune Pierre Goldman a rejoint Cuba puis la révolution vénézuélienne sur les traces d’un certain Régis Debray. De retour en France, il a rapidement plongé dans le banditisme – notamment les vols à main armée, dont il est difficile de déterminer s’ils sont destinés à financer son train de vie dispendieux ou les causes révolutionnaires dont il se réclame. En 1975, il tombe pour l’attaque d’une pharmacie boulevard Richard Lenoir – ayant entraîné la mort des deux pharmaciennes. Au cours de l’enquête puis de l’instruction, Goldman reconnaît une dizaine d’autres braquages mais nie fermement avoir participé à celui-là. Un premier procès qui le condamne à la perpétuité est annulé pour vice de forme et conduit, en 1976, au second procès lors duquel Pierre Goldman est défendu par Georges Kiejman, futur ténor du barreau (et futur baron de la Mitterrandie). Procès qui est donc l’objet du film de Cédric Kahn, en tous points remarquable.

Ce huis-clos qui pourrait être rébarbatif est rendu passionnant par la mise en scène de la parole comme arme de conviction. Pas certain qu’au bout de deux heures on se soit forgé un avis tranché sur la culpabilité ou l’innocence du bonhomme, peu importe : on aura vibré comme rarement au spectacle de ces joutes oratoires cadrées serré, en tension permanente. On aura encaissé comme autant de coups de boutoirs les éclats de Goldman, militant passionné et passionnant, brouillon et bouillonnant, qui réclame à tout bout de champ qu’on n’évoque que les faits et rien que les faits, surtout pas les ressorts psychologiques ou sociologisants – mais qui n’hésite en revanche pas à dénoncer une accusation qu’il considère comme raciste. On aura aussi été captivé, en contrepoint, par le déroulé brillant, apaisé, de l’avocat Kiejman, qui démonte patiemment, un par un, les témoignages de l’accusation. Le film est un magnifique plaidoyer pour la Justice et la vertu des gens qui la font vivre – et la rendent. Une bouffée d’oxygène et d’intelligence bienfaisante, à l’heure où l’idée même de justice semble avoir déserté les tribunaux populaires improvisés qui enflamment médias et réseaux sociaux. Politiquement, le film, qui évoque des faits remontant à près d’un demi-siècle, ne s’écartant jamais des textes originaux des plaidoyers, fait plus que résonner avec nos préoccupations contemporaines. On y évoque le racisme systémique de la police (déjà !) ; un avocat général qu’on dirait tout droit sorti de C-news se pose en porte-parole de la France silencieuse face à ce qu’il considère comme la France urbaine des gauchistes ; Pierre Goldman, le Juif, se pose en frère des « nègres » persécutés…

Le film doit beaucoup de sa force aux interprétations exceptionnelles d’Arieh Worthalter, qui incarne un Goldman tout en fureur et en passion, et d’Arthur Hariri, tout en retenue, en détermination, qui nous donne à voir l’intelligence hors du commun de Maître Kiejman, chargé de défendre son client malgré lui.

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