VOST (HU) – De Gábor Reisz
Avec Gáspár Adonyi-Walsh, Istvan Znamenak, András Rusznák
2h 07min | Drame
Synopsis et critique : Utopia
Un petit mensonge de rien du tout. Solution de facilité pour se sortir d’une situation, d’un malaise parce que la vérité est trop gênante, trop difficile à assumer. Ces petits mensonges du quotidien, parfaitement anodins et qui ne blessent personne… C’est sans doute ce que le jeune Abel pense en rentrant chez lui après avoir raté son oral d’histoire du baccalauréat, quand son père lui demande comment ça s’est passé. Fraction de seconde d’hésitation… puis le mensonge. Pas méchant, juste celui qui redore son image face à son paternel exigeant. Le mensonge qui explique le plus simplement du monde les raisons de son échec. Sans conséquence pense-t-il, toute cette histoire va s’arrêter là, mais c’est sans compter sur les autres, dont il ne peut maîtriser les comportements, et sur le climat social et politique qui règne sur la Hongrie d’aujourd’hui.
En 1989, la Hongrie se libère, comme d’autres pays de l’Est de l’Europe, du joug soviétique et connaît pendant vingt ans une alternance politique relativement paisible. En 2010, la victoire de Viktor Orbán (toujours premier ministre aujourd’hui) et de son parti politique de droite populiste, pour ne pas dire extrême, Fidesz-Union, change profondément le pays. Grâce à une écrasante majorité à l’assemblée, Orbán fait voter une nouvelle Constitution qui, nationalisme oblige, fait référence aux « racines chrétiennes » de la nation hongroise, ce qui ne manque pas de susciter l’inquiétude d’une partie de la population, craignant de voir sa liberté entravée.
C’est bien sur les questions de société que se mesurent les plus grands changements : la Hongrie s’oppose régulièrement à l’Union européenne sur la crise migratoire, refusant de prendre sa part dans l’accueil des réfugiés et menant une politique anti-migrants très violente ; il y a aussi cette loi votée en 2021 interdisant « la promotion de l’homosexualité ». Ces prises de position ont énormément divisé le peuple hongrois, avec d’un côté les nationalistes pro-Orbán et, de l’autre, ceux considérés comme des gauchistes abandonnant toute forme de patriotisme. En mai 2023, alors que se déroulent les épreuves du bac, la police réprime brutalement des manifestations de lycéens protestant contre l’état du système scolaire hongrois…
C’est donc dans ce contexte assez explosif que nous plonge très intelligemment le réalisateur Gábor Reisz. Il place son personnage Abel entre un père patriote et fervent défenseur d’Orbán et un professeur d’histoire qui se dit de gauche et n’a pas la langue dans sa poche lorsqu’il s’agit de critiquer le Premier ministre et l’état actuel du pays. Et c’est d’une cocarde jugée « trop » nationaliste portée sur sa veste le jour de son oral et de l’intervention d’une jeune journaliste un peu trop zélée que va naître le scandale politico-médiatique de l’affaire Abel Trem.
Au-delà de la toile de fond d’une société bipolarisée idéologiquement, de l’emballement médiatique et de la fabrication de fake news, l’éducation s’impose comme le sujet central du film. Pour le cinéaste, « la pression de ses parents sur Abel est la même que celle que j’ai subie durant mon lycée : cette pression familiale qui veut vous pousser vers l’université même si vous ne le souhaitez pas. Je me souviens très bien de cette période sensible : vous n’avez que 18 ans, c’est la première fois que vous tombez amoureux, la première fois que vous prenez vraiment conscience de l’environnement autour de vous, et c’est très difficile de prendre une décision sur son propre avenir. C’est cet état que j’ai voulu retranscrire dans le film. »
Pour nous immerger dans cette histoire, Gábor Reisz utilise une structure narrative étonnante et innovante en installant l’intrigue sur dix jours, avec des chapitres distincts pour les quatre personnages principaux (Abel, son père, le professeur et la journaliste), qui nous dévoilent petit à petit les liens et ramifications improbables qui créent ce scandale et qui échappent totalement au lycéen. C’est tout à fait original et très, très réussi.