VF – De Michel Hazanavicius
Avec Jean-Louis Trintignant, Dominique Blanc, Denis Podalydès
20 novembre 2024 en salle | 1h 21min | Animation, Drame, Historique
Synopsis et critique : Utopia
Il était une fois, dans un grand bois, un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne. Le froid, la faim, la misère, et partout autour d’eux la guerre leur rendaient la vie bien difficile. Un jour, pauvre bûcheronne recueille un bébé. Un bébé jeté d’un de ces nombreux trains de marchandises (suppose-t-on) qui traversent quotidiennement leur forêt dans un grand fracas d’acier. Protégée quoi qu’il en coûte par ces parents de fortune, cette petite fille tombée du ciel, cette si précieuse « petite marchandise » va bouleverser leur vie de femme, de bûcheron, et celle de tous ceux qui vont croiser son chemin – jusqu’à l’homme qui l’a précipitée hors du train. Conte, parabole, chronique populaire, cette histoire révèle le pire comme le meilleur du cœur des hommes.
Et si l’on allait chercher la lueur, celle de l’espoir qui vacille mais refuse de s’éteindre, dans les pages les plus sombres de l’Histoire ? En adaptant le court roman de Jean-Claude Grumberg, Michel Hazanavicius attaque par sa face nord l’un des sujets les plus difficiles, les plus abrupts qui soient : la Shoah. Mais par le biais du film d’animation, il trouve un juste équilibre entre la douceur du conte et la noirceur de l’Histoire. La musique, le trait du dessin et les figures archétypales de la famille figurant tout ensemble un contrefort poétique efficace qui tient à bonne distance les assauts redoutables de violence et de haine qu’il convoque.
Grand spécialiste du pastiche (des films muets, d’espionnage, de zombie, de Godard…), Michel Hazanavicius trouve pour adapter le conte de Grumberg le ton juste, d’une extrême simplicité, qui lui permet d’éviter le récit didactique et scolaire. Dépouillant son style de bien des artifices, il se concentre sur des valeurs fondamentales, à l’image de l’exemplaire sobriété des voix de ses comédiens – au premier rang desquels Jean-Louis Trintignant, qui assure ici, au soir de sa vie, la fonction du narrateur.
Tout procède ici par allusion, par réduction : la blessure de l’Histoire se matérialise par le passage des convois mystérieux qui déchirent la nuit. Les personnages, bons ou mauvais, ne sont jamais dénommés. Les victimes de l’époque, qu’on transbahute en enfer dans des wagons à bestiaux, sont seulement qualifiées de « sans cœur » par ceux qui les haïssent. Et c’est la simple irruption d’une petite vie fragile qui va réveiller chez les bons – les Justes – la plus évidente pulsion de vie et de solidarité. Toute la réussite du film tient dans ce parti-pris : ne jamais ignorer la nuit dans laquelle se perd l’humanité, mais y traquer les étincelles qui pourraient ramener la lumière. L’animation, loin du photoréalisme et de l’image de synthèse en vigueur aujourd’hui, a la grâce, la fragilité et la pureté de ce qu’on appelait au siècle dernier le dessin animé. L’esprit littéraire du conte est ainsi maintenu et se poursuit dans une série de scènes volontiers silencieuses, où la spontanéité des comportements l’emporte pour faire surgir l’instinct maternel chez une femme usée par la vie, la tendresse chez un bûcheron bourru et la loyauté d’un chien pour cette « précieuse marchandise ».
La délicate, sobre, mais nécessaire évocation d’Auschwitz se limite à quelques visions cauchemardesques vite entrevues – mais qu’on n’oubliera pas – dans un fondu au noir bienvenu. La morale du conte ? L’être humain est le seul à pouvoir donner une direction aux pulsions de vie, vers la destruction par la peur des autres, ou vers l’altruisme par amour. Une leçon universelle, plus que jamais nécessaire.