Limonov, la ballade

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VOST (EN) – De Kirill Serebrennikov

Avec Ben Whishaw, Viktoria Miroshnichenko, Tomas Arana

4 décembre 2024 en salle | 2h 18min | Biopic

Synopsis et critique : Utopia

D’emblée que les choses soient dites : s’inspirant du roman fameux publié en 2011 par Emmanuel Carrère, Kirill Serebrennikov se défend d’avoir réalisé un biopic d’Édouard Limonov, écrivain et homme politique russe, né sur le territoire ukrainien en 1943 dans la ville de Kharkiv (anciennement Kharkov sous l’URSS). Car ici, le récit des faits et gestes de ce personnage excentrique et imprévisible qu’était Limonov, interprété magistralement par l’acteur britannique Ben Whishaw, sert avant tout de réceptacle à une photographie furieuse de la Russie et de l’Occident, des années 1960 à nos jours.

À l’instar de ces écrivains américains ayant eu mille vies (London, Steinbeck), Eddy Limonov sera tour à tour ouvrier et délinquant dans sa ville natale, couturier, poète et dissident branché à Moscou, clochard et majordome dans le New York des années 1970, journaliste respecté à Paris, putschiste de retour à Moscou, soldat pro-serbe en Bosnie, fondateur du Parti national-bolchevique, militant démocrate anti-Poutine (un temps au côté de l’opposant champion d’échecs Garry Kasparov), prisonnier au cœur des camps de travail de la Volga, militant pour la guerre et la restauration de l’Union Soviétique… « J’ai toujours pensé ma vie comme un mythe, comme les aventures d’Ulysse. Un mythe peuplé de monstres et de beautés. » déclare-t-il sans ironie.
Homme de lettres et fervent lecteur d’Alexandre Dumas, Céline et Jean Genet, Limonov se définissait comme un poète-soldat pour qui un « vrai » intellectuel est un intellectuel chassé de son pays ! Tantôt très à gauche, tantôt très à droite, ce bloc de contradictions à l’ego surdimensionné ne sera donc jamais du côté du manche, se rêvant en Yukio Mishima, cet écrivain japonais qui avait tenté en novembre 1970 un putsch contre le régime pour restaurer le pouvoir de l’empereur… avant de se suicider par seppuku.

Sans pour autant adhérer aux valeurs morales et politiques de son personnage, c’est à travers les yeux de Limonov que Serebrennikov brosse une grande fresque de l’Union Soviétique, de ses rapports avec le monde occidental (que Limonov vomit dans le film sur l’air de Walk on the wild side de Lou Reed), puis de la Russie post-communiste. « Tout ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine est issu de ce qu’a écrit Limonov. Il voulait la guerre, il voulait le retour de l’URSS. On a l’impression de vivre dans le monde qu’il avait rêvé, comme si le Kremlin s’était carrément inspiré de ses textes… Avec le contexte actuel, j’ai éprouvé un besoin d’autant plus fort d’explorer les mécanismes qui ont mené à cette violence, de comprendre d’où vient le fascisme russe. » dit Serebrennikov.
Enragé et belliqueux, toujours sur la brèche, Édouard Limonov aura vécu sa vie comme une mission, un combat, un périple fait d’ascensions et de décadences, se nourrissant du chaos de l’Histoire post-Seconde Guerre mondiale. Révolutionnaire, dandy, voyou, fasciste, cet animal sauvage insaisissable ne cessa de se revendiquer comme le produit (ou le résultat) des frustrations des plus pauvres, des laissés-pour-compte, des esclaves de la bourgeoisie et autre chair à canons des grands idéaux communistes et capitalistes. Un anti-héros ou super-vilain (Serebrennikov parle d’une espèce de Joker russe !) qui, comme le phénix, renaît à chaque fois de ses cendres en se recréant.

Regorgeant de trouvailles narratives, le film impressionne par son rythme effréné et par la puissance de ses reconstitutions, notamment dans les séquences new-yorkaises. Le réalisateur y déploie aussi toute sa passion pour la mythologie du rock sous son versant nihiliste, collant parfaitement à l’état d’esprit de son personnage.
Kirill Serebrennikov, avec ce Limonov, assoit encore un peu plus son statut de cinéaste hors norme.

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