VF – De David Oelhoffen
Avec Laurent Lafitte, Simon Abkarian, Manal Issa
15 janvier 2025 en salle | 1h 56min | Drame
Synopsis et critique : Utopia
En visitant son vieil ami et mentor Samuel à l’hôpital, Georges (Laurent Lafitte) ne sait pas encore dans quelle aventure folle il va l’entraîner. Puisqu’il est rivé à son lit, Samuel demande à Georges de reprendre à son compte son projet : aller jouer une pièce de Théâtre, symbole de possibilité de cohésion entre les peuples, à Beyrouth, en pleine guerre civile fratricide… « Mais que diable irait-il faire dans cette galère ? », se serait écrié le bon Scapin. Mais nous ne sommes pas dans Molière et l’Antigone à mettre en scène n’est pas celle de Sophocle, mais celle plus grinçante de Jean Anouilh, écrite sous l’occupation allemande. Tout un programme… Une héroïne antique, droite et fière, dont les frères s’entretuent, mais qui refuse d’abandonner leurs corps aux charognards, de baisser l’échine devant des règles iniques qui poussent à l’inhumanité. Elle incarne l’individu qui se dresse contre des forces qui le dépassent. Georges, qui semble pourtant un désabusé chronique, finit par accepter : le voilà prêt à entreprendre un voyage pavé de bonnes intentions, tout autant que certains chemins qui mènent à l’enfer.
Arrivé sur place, il n’est pas accueilli tel un messie. Chacun le scrute, l’interroge, pour tenter de comprendre ses motivations, qui paraissent nébuleuses tout comme le sont pour lui celles des combattants. Si faire monter sur scène des acteurs de bords opposés fait joli sur le papier, il sera moins simple de les convaincre et de convaincre leurs clans. Il lui faudra essayer de saisir le fonctionnement de tous et de chacun, passer sous leurs fourches caudines, passer outre les sueurs froides. Tout cela sous la houlette de Marwan (excellent Simon Abkarian) qui sera son guide et lui permettra de louvoyer entre Druses, Palestiniens, phalangistes chrétiens… a priori irréconciliables.
Loin du voyage touristique, c’est un pays à la beauté égratignée, parfois massacrée qui s’offre au regard. Tout le monde semble y vivre au battement des tirs et des bombardements. Dans les interstices de tranquillité, certains rêvent de fuir le conflit tout en participant à l’entretenir par leurs inimitiés, leurs rancœurs, leurs désirs de réparation qui se transforment en désirs de vengeance et ne réparent donc rien. C’est dans ce contexte que Georges débarque au Liban avec les gros sabots de l’occidental qui croit ses valeurs et ses certitudes inégalables. Que sait-il des conflits qui agitent la zone, que comprend-il de ce qui les entretient ? Dans le fond : rien. Il abdique même l’idée de chercher à comprendre, un peu comme s’il était au-dessus de tout ça, comme si rien ne méritait que son attention se détourne du Théâtre. Comme si cacher la monstruosité de notre humanité sous un tapis de désintérêt allait la faire disparaître à jamais. Peut-être les circonstances, les rencontres, notamment celle de l’actrice palestinienne (Manal Issa) choisie pour interpréter le rôle titre le feront peu à peu vaciller…
En filigrane, une mise en abyme. Finalement, Georges incarne lui aussi une sorte d’Antigone au masculin. Comme elle, il est le héros d’une tragédie grecque… Peut-être incarne-t-il aussi ce monde occidental opulent qui ne veut pas voir les dégâts que cause son train de vie dévoreur des ressources communes de la planète, générateur de conflits autour du pétrole, de l’uranium, de l’eau… Si l’action se passe en 1982 (peut-être cette date vous évoquera-t-elle quelque chose, sinon le film s’en chargera), elle résonne tellement fort avec l’actualité de ces jours-ci : le Liban toujours, Israël, la Palestine, la Russie, la Syrie… on pourrait même ajouter le Tibet que la Chine se prépare à assoiffer pour continuer de nous vendre des Barbie et autres jouets de noël ou gadgets définitivement non essentiels…