De Emilie Deleuze
Avec Lambert Wilson, Marina Hands, Laurent Poitrenaux
1h 34min / Comédie
Synopsis et critique : Utopia
Lassé de la frénésie de sa vie citadine, aspirant à une existence plus saine, à plus de calme et plus de sérénité – espérant également, sans doute, se reconnecter à de lointaines racines perdues –, le rat des villes s’en vient un jour installer ses pénates dans les parages immédiats du rat des champs. D’abord charmé par l’« authenticité » des vieilles fermes de pierre à réhabiliter, la douceur bucolique des prés vallonnés (Ah ! le Limousin…), les habitants si typiques des petits villages « dans leur jus », l’animal urbain ne tarde pas à voir son fantasme de gentleman-farmer se cogner aux parfois dures réalités de la vie rurale – à commencer par la société du rat des champs, son voisin éleveur, qui observe avec défiance cet établissement inattendu. Conscient du malaise, mais également convaincu de sa supériorité de CSP++ et de sa capacité à forcer son intégration campagnarde, notre rat des villes se met en quête, pour marquer l’occupation de son territoire, du symbole ultime qui assiéra sa crédibilité de paysan et le fera accepter dans le voisinage : un TRACTEUR.
Au centre de la fable, concoctée avec un humour frais par Émilie Deleuze et ses complices Marie Desplechhin et Patricia Mazuy, il y a ces cinq hectares et ce point de droit : la « propriété par l’usage ». Privilège consenti aux travailleurs de la terre, à la campagne, en l’absence de contrat, quand on exploite ou utilise un terrain, on en est de facto considéré comme propriétaire. C’est ce point de détail qui gratte Franck, notre candidat au « retour à la terre » du dimanche.
Sommité scientifique largement reconnue, socialement, comme on dit, « parvenu », le fringant sexagénaire qui vient d’acquérir une charmante fermette à quelques heures de Paris ne se résigne pas à ce que « ses » cinq hectares de terrain attenants soient à terme définitivement colonisés par les vaches du voisin – lesquelles vaches ont toujours brouté là, mais là, justement, n’est pas la question. Seule solution pour barrer la route aux ruminants : entretenir lui-même le terrain, et pour cela trouver rapidement ce fameux tracteur. À la fois outil et signe extérieur de paysannerie, il le lui faut gros, puissant, irréfutable. Quitte à mettre en danger son couple : sa femme est trop futée pour ne pas comprendre ce qui se joue pour son homme et elle n’est pas certaine que ça lui plaise. Quitte à saborder sa crédibilité professionnelle : sa passion nouvelle réclame un engagement, corps et âme, qui ne souffre aucun partage et l’amène conséquemment à négliger son boulot de directeur de recherche à l’Institut Pasteur…
Drôle, léger, porté par un Lambert Wilson comme en apesanteur, le film décortique avec bienveillance les petits tracas, les contradictions, les antagonismes que porte son personnage principal, confronté au monde rural réel – ni plus, ni moins idyllique qu’un autre. Sa quête initiatique le mène à la rencontre de multiples parcours de vies, joliment racontés, dans la campagne limousine. Et, au terme d’un étonnant road movie mené à 20 km/h au cœur des petites folies humaines, le conduit à une douce réconciliation, d’abord avec lui-même.