A son image

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VF – De Thierry de Peretti

Avec Clara-Maria Laredo, Marc’Antonu Mozziconacci, Louis Starace

4 septembre 2024 en salle | 1h 53min | Drame

Synopsis et critique : Utopia

C’est le portrait lumineux d’une femme sur une île – dite « de Beauté » – plus souvent qu’à son tour écrasée de soleil. Un soleil qui, à l’aube, irise la Méditerranée et illumine Antonia, photographe de mariage, au volant de sa petite citadine sur une route en corniche. Un soleil qui éblouit la conductrice encore somnolente au détour d’un virage et provoque une sortie de route fatale. Même s’il n’est pas, comme le roman de Jérome Ferrari, strictement limité au moment de la cérémonie funèbre, le film retrouve ce même ton, entre reconstitution, voix off, enquête et témoignages, pour rendre hommage à Antonia tout en nous la faisant découvrir, par bribes, de plus en plus intimement. Le récit retrace ainsi, sur deux décennies, la vie tumultueuse et passionnante d’une jeune femme dingue de photo – histoire intimement liée à celle de la Corse et aux combats politiques d’une génération.

Thierry de Peretti nous projette donc au début des années 80. Antonia, 18 ans, vient de tomber éperdument amoureuse de Pascal, un beau gaillard aux cheveux longs et au regard irrésistible, presque une caricature du séducteur local… qui n’en est pas moins un membre actif et instruit, à son échelle, du mouvement indépendantiste. La vie est légère, les fêtes nationalistes sont joyeuses. Ce sont encore les années romantiques où la plupart des militants du FLNC font figure de robins des maquis, opposés à des gendarmes pas toujours zélés. Jusqu’au jour où l’enlèvement et la séquestration de deux barbouzes par Pascal et ses amis fait basculer le mouvement – et par conséquent la vie d’Antonia. Devenue malgré elle femme de prisonnier au sort incertain, elle assiste en quelques années à l’escalade de la violence, aux plastiquages des maisons de métropolitains, ainsi qu’aux affrontements internes qui déchirent le mouvement. Photographe de presse « localière » pour Corse Matin, Antonia se découvre spectatrice horrifiée et impuissante des assassinats de jeunes militants par leurs frères d’armes – les victimes comme les exécuteurs se recrutant parmi ses amis, ses amours, sa famille… C’est pour elle, au milieu des années 90, la prise de conscience d’une impasse, qu’elle tente d’exorciser en partant couvrir en free-lance les combats qui ensanglantent l’ex-Yougoslavie. Elle se heurte là encore à un mur et abandonne sur le champ de bataille ses illusions sur le rôle éthique de la photographie.

De la jeunesse insouciante à l’irruption de la violence armée, de la représentation (photographique) attentive et bienveillante du militantisme indépendantiste à la boucherie des combats au Kosovo, du retour en Corse de la jeune femme comme photographe de mariages à sa disparition… à travers le portrait fragmenté d’Antonia, Thierry de Peretti documente avec beaucoup de justesse l’ambivalence d’une jeunesse corse emportée dans le flot de l’histoire politique de l’île – et parfois dépassée par elle. Qui cherche, en vain semble-t-il, un équilibre acceptable, moralement, humainement, politiquement. Contemporain de son personnage, le cinéaste rend ici particulièrement justice aux femmes, maintenues en lisière d’un milieu extrêmement masculin, longtemps condamnées à l’abnégation et au sacrifice, déchirées entre l’amour pour les garçons perdus et l’aspiration légitime au pas de côté et à leur propre autonomie. Épatante de force et de fragilité mêlées, Clara-Maria Laredo porte avec une impressionnante fougue ce portrait remarquable de subtilité. Comme à son habitude, le réalisateur met en scène son film, magnifiquement photographié, avec une élégance discrète mais imparable. Il nourrit très intelligemment le récit de plans séquences superbement composés et mis en musique, ainsi que d’images d’archives permettant d’ancrer l’histoire d’Antonia dans le réel – tandis que les propres images de la photographe en demeurent l’indispensable fil conducteur. Impeccable.

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