Anora

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VOST (EN) – De Sean Baker

Avec Mikey Madison, Mark Eydelshteyn, Yuriy Borisov

30 octobre 2024 en salle | 2h 19min | Comédie dramatique

Synopsis et critique : Utopia

L’un des aspects qui caractérisent le cinéma de Sean Baker, c’est l’énergie incroyable et la sincérité qui émanent tant de ses personnages que du regard qu’il porte sur eux, sans misérabilisme ni complaisance. Tangerine, The Florida project, Red rocket faisaient surgir une magnifique galerie de personnages en marge de la société, comme une farandole endiablée et carnavalesque propre à renverser conventions et ordre établi. Si ses films précédents séduisaient par une expérimentation formelle différente à chaque fois, Sean Baker passe avec Anora à la vitesse supérieure : de l’esquisse griffonnée au tableau de maître, de la chronique à l’odyssée, des boulevards crasseux de Los Angeles aux décors stylés d’un hiver New-Yorkais.

Anora – on l’appelle par son petit nom Ani –, est strip-teaseuse dans un club de luxe, prostituée à l’occasion. Ce qui la caractérise, c’est le refus de se laisser enfermer dans un quelconque sentiment pathétique ou glauque associé par d’autres à sa condition. Elle arbore comme un bouclier un indéfectible et franc sourire qui a le don d’agacer ses collègues féminines. Elle a la vie devant elle et compte bien sortir de là dès que possible. Originaire d’Ouzbekistan, elle tombe un soir sur un jeune Russe, Ivan, tout comme elle à peine sorti de l’adolescence, plutôt gringalet et pas violent, a priori le bon numéro. Elle parle russe comme lui, il s’ennuie, perdu à New York, il va donc lui proposer de passer la semaine avec lui. Il a de l’argent à ne plus savoir qu’en faire, les liasses filent entre ses mains juvéniles jusqu’à perdre toute valeur, comme du vulgaire papier. Tous deux vont se laisser aller à oublier la nature transactionnelle initiale de leur relation, lui en permanence sous influence narcotique, elle comme une Cendrillon arrivée au palais du prince charmant, du genre un peu barré mais plutôt gentil et inoffensif. Tant et si bien que, lors d’une virée à Las Vegas avec des amis, ils vont se marier, planant à dix mille lieues et cent mille à l’heure dans un conte de fées façon Tex Avery ! Passés les dorures clinquantes et le délire du Nevada, le retour à New York va s’avérer brutal, avec une belle gueule de bois.
Au petit matin, un « ami de la famille » va débarquer, avec des hommes de mains parce que oui, c’est en fait d’une belle famille d’oligarques russes pas très sympathiques qu’Ani a hérité en épousant Ivan. Et Ivan, c’est plutôt le sale gosse de riches qui n’arrête pas de faire des conneries et qui n’assume jamais rien… Et là le film va basculer dans une autre dimension, on ne vous en dira pas plus pour ne pas vous gâcher le plaisir. Sachez juste que tous les archétypes vont passer à la moulinette, le prince rejeton dégénéré prendra la poudre d’escampette, et la Cendrillon n’endossera pas vraiment le rôle de victime que laissait présager cette histoire, donnant un sacré fil à retordre à ces Russes new yorkais patibulaires, plus comiques que dangereux, dans une virée d’une drôlerie et d’une énergie ébouriffantes, tornade venue de la côte Est emportant tout sur son passage, des rues de Brighton Beach aux pontons de Coney Island.

Cet anti-conte de fées moderne doit beaucoup à ses interprètes, tous excellents, en particulier la toute jeune Mikey Madison (Ani), dont on n’a pas fini d’entendre parler. Dans ces temps pré-révolutionnaires où se creusent les inégalités, où l’indécence et la médiocrité des riches sont de plus en plus crasses, Sean Baker sublime ces nouveaux Misérables et l’on pourrait écrire en liminaire, paraphrasant Hugo : tant que les problèmes du siècle, la dégradation de l’homme, la déchéance de la femme, l’atrophie de l’enfant, ne seront pas résolus, tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des films de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles.

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