Anselm

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VOST (DE) – De Wim Wenders

Documentaire – 2023 – 1h33

Synopsis et critique : Utopia

Après avoir célébré le processus de création de la chorégraphe légendaire Pina Bausch, Wim Wenders s’attache ici à une autre figure majeure de l’art contemporain : l’immense et mystérieux artiste plasticien Anselm Kiefer, né en 1945, mondialement respecté et redouté pour ses extraordinaires tableaux et installations. Par le biais d’une narration originale et d’un esthétisme de haute intensité, Wenders réussit à nous immerger avec douceur dans l’univers vaste et sombre d’Anselm et à nous donner quelques clefs pour comprendre son art protéiforme, en perpétuelle réinvention. Une œuvre sujette aussi à controverse lorsqu’elle interroge le passé sombre de l’Allemagne et se plonge dans ses blessures ouvertes.

Quoi de plus efficace qu’un prologue poétique et majestueux pour nous inviter à ce voyage artistique ? À l’aube, la caméra enveloppe des sculptures de femmes en robe blanche et sans tête (ou du moins avec leurs têtes remplacées par des briques ou des barbelés qui pèsent sur leur corps) clairsemées parmi les arbres. Le ballet se poursuit au milieu de blocs empilés évoquant des ruines, avec ces créatures mythologiques qui, telles des fantômes, chuchotent à nos oreilles. Mais là où Wenders excelle, c’est dans la manière dont il introduit Kiefer au milieu de ses œuvres : le vieil artiste surgit tel un bonze lilliputien transportant ses tableaux surdimensionnés au milieu d’un hangar non moins gigantesque (son atelier de Croissy, à côté des Paris) puis circulant à vélo dans ce dédale de toiles, de sculpture et d’installations. Bienvenue dans ce royaume de démesure où plâtre, ferraille, plomb, éléments végétaux sont les matières privilégiées.

Tout au long du film, la narration oscille entre présent et passé, par le biais de reconstitutions et d’images d’archives qui éclairent les œuvres parcourues. Au fil de la découverte des divers ateliers de l’artiste, correspondant à différentes périodes de ses créations, se dessinent ses préoccupations récurrentes, étroitement liées à l’Histoire mais surtout à celle de son enfance, marquée par l’après-guerre et le pesant passé de son père. Ses maîtres spirituels (le poète Paul Celan, Heidegger…), les mythologies allemandes et grecques, ses épiphanies artistiques de jeunesse : autant d’influences qui ne cessent de nourrir son travail. Avant-gardiste provocateur pour certains, artiste toxique pour d’autres, Anselm a suscité plusieurs controverses dans le passé : l’épisode de la performance autour du salut Hitlérien en 1969 continue d’alimenter des polémiques.
À la question : « qui est Anselm Kiefer ? », Wenders tente de répondre sans masquer la complicité et le respect mutuel qui les lient depuis 30 ans. Il traduit dans ses cadrages et dans l’éclairage de ses plans l’admiration qu’il porte à ce personnage imposant dont l’apparence physique est un ambigu mélange de nonchalance, de détachement et de grande puissance. Les séquences de corps à corps rageur avec ses œuvres sont fascinantes : destruction, chaos, métamorphoses par le feu, livres d’archives recouverts de plomb, Kieffer est un alchimiste obsédé par l’introduction du passage du temps dans ses créations. Le film réussit à nous emporter toujours plus loin dans la psyché du plasticien et à souligner une part manquante de son enfance qu’il ne cessera de chercher à combler en créant.
Plus le film avance, plus le talent de Wenders et l’art de Kieffer entrent en résonance et s’hybrident. Wenders n’hésite pas à faire correspondre « ses ailes du désir » avec celles des déesses ailées d’Anselm… Certains y verront peut-être une auto-célébration du cinéaste à travers l’œuvre du plasticien. Mais nous préférons opter pour la revendication d’une parité entre les deux artistes reposant sur quelques sources d’inspiration communes et leur fascination pour les mythes et l’histoire de l’Allemagne d’après-guerre. Une histoire qu’ils n’ont cessé de bousculer pour mieux la comprendre.

Anselm est une expérience artistique originale qui révèle au grand public cet artiste peu connu en dehors des amateurs pointus d’art contemporain. En sortant de la salle, vous aurez probablement envie de poursuivre l’aventure en allant découvrir les œuvres du prologue du film exposées à Barjac (Gard). Elles poursuivront probablement leurs chuchotements à vos oreilles.

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