De Martin Provost
Avec Cécile de France, Vincent Macaigne, Stacy Martin
2h 02min / Biopic, Historique, Romance
Synopsis et critique : Utopia
S’il vous prend l’envie, au cœur de l’hiver, de vous faire une toile colorée et pleine de vie, de sortir de la grisaille, il n’est pas impossible que l’on vous recommande ce grand format au son de l’expression qui nous paraîtra alors irrésistible : « c’est bonnard ! » Cette petite touche, qu’on pourrait juger hâtivement un peu vulgaire pour un film sur la vie d’un célèbre peintre post-impressionniste, n’est pourtant pas sans à propos pour parler de cette Belle Époque qui, au sortir de la grande dépression, vit éclore dans les années 1890 la joyeuse troupe des Nabis qui voulaient envoyer valser toutes les conventions. Martin Provost prête ces mots à Misia Natanson (magnifique Anouk Grinberg) : « des amis, des poètes, des saltimbanques, des êtres tous épris d’absolu et de liberté qui ne vivaient que pour leur art, en s’amusant et en faisant la fête ». C’était le monde de La Revue Blanche, revue littéraire et artistique de sensibilité anarchiste, à laquelle collaborèrent beaucoup parmi les plus grands écrivains et artistes de langue française de l’époque : les Natanson, Édouard Vuillard, Félix Vallotton… Ils s’affublèrent de surnoms facétieux empreints de cette liberté, de cette légèreté revendiquée. Pierre Bonnard reçut celui de « Nabi très japonard », en raison de son goût pour les estampes japonaises, peignant même sur des paravents, sans contrainte imitative, avec sa propre logique décorative et symbolique.
C’est durant ces premières années qu’il rencontre Marthe, sa compagne et sa muse, posant nue sur plus d’un tiers de ses tableaux tout au long de leur vie jusqu’à sa mort en 1942. Après avoir réalisé Séraphine, avec le succès qu’on lui connait, Martin Provost fut contacté par Pierrette Vernon, petite nièce de Marthe Bonnard, qui voulait le convaincre de faire un film sur sa grand-tante, dont elle sentait qu’on ne mesurait pas assez le rôle fondamental qu’elle avait tenu dans l’œuvre de Pierre Bonnard. Omniprésente dans ses tableaux, mais aussi peintre, elle ne correspondait pas au rôle de muse trouble et manipulatrice qui lui avait été accolé. Souhaitant alors faire tout sauf à nouveau un film sur la peinture, Martin Provost la présenta à Françoise Cloarec. De cette rencontre naquit le livre L’indolente qui, des années et quelques films plus tard, au sortir du confinement, allait l’inspirer à son tour.
Bonnard peignait de mémoire, disant qu’il fallait « beaucoup de petits mensonges pour une grande vérité ». Martin Provost fait de même, réalisant « presque un travail médiumnique », pour tenter d’approcher la vérité de la part d’ombre de ce couple merveilleusement interprété par Cécile de France et Vincent Macaigne. Loin de la reconstitution historique dans ce qu’elle peut avoir de pesant, c’est un film vibrant, vivant et charnel où éclatent les couleurs des tableaux. Il parle d’un amour qui traverse bien des vicissitudes (qu’on ne racontera pas ici) et qui ne s’éteint pas. Il y a un mystère Bonnard, incarné dans la représentation obsessionnelle du corps de Marthe, offerte, énigmatique, impudique, puis peu à peu, alors qu’elle devient folle, repliée sur elle-même, le plus souvent dans sa baignoire, éternellement jeune, et éternellement fuyante.
Qualifié de « peintre du bonheur », Pierre Bonnard disait que « celui qui chante n’est pas toujours heureux ». Peindre fut pour lui une aventure personnelle, avec Marthe, dans leur « Roulotte » de Vernon, canotant sur les bords de Seine et rendant parfois visite aux Monet. Mais alors que le jardin de Monet était bien ordonné, Bonnard a laissé pousser le sien en toute liberté. Nus dans leur jardin sauvage, à l’abri des guerres qui ravageaient le monde autour d’eux, les Bonnards, tout à la recherche de leur Arcadie, ont traversé le temps jusqu’à nous apparaitre dans leur évidente, essentielle simplicité, qui nous fait tant défaut aujourd’hui.