Interdit aux chiens et aux Italiens

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[Cinéma] – A partir de 10 ans – De Alain Ughetto

1h 10min / Animation

Synopsis et critique : Utopia

Dès le pré-générique, on est saisi par le charme irrésistible, intemporel, de ce drôle de film conçu, bricolé, filmé et animé à la main par Alain Ughetto en « stop motion » (technique d’animation qui consiste à déplacer et faire bouger imperceptiblement, plan par plan, des figurines pour leur donner vie à l’image). Un des atouts irrésistibles d’Interdit aux chiens et aux Italiens, c’est ce côté artisanal, son utilisation de petits riens bricolés qui lui donnent toute sa poésie. Dans ce prologue, le réalisateur nous invite à découvrir les étapes de la fabrication du décor et des personnages, les maisons en carton, les personnages en pâte à modeler… l’univers du film prend doucement forme sous sa main, tandis qu’avec les personnages et les lieux se mettent en place les premiers éléments de l’histoire. Son histoire, celle de sa famille et plus précisément celle de ses grands parents, qu’il entreprend, tout en fignolant ses figurines, de nous conter de sa belle voix caressante. Et immédiatement, on est emporté par cette proximité touchante avec ses aïeux, ce récit à la première personne qui raconte, à travers le destin d’une famille, 50 ans d’histoire de l’Italie et de la France, du début du xxe siècle jusqu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale.

Tout commence dans un petit village extrêmement pauvre du Piémont italien, où vit Luigi Ughetto (le grand père d’Alain). Comme pour nombre de ses compatriotes, c’est cette pauvreté endémique qui le conduit à quitter son village pour vendre sa force de travail. D’abord en Suisse, car on embauche sur le chantier du tunnel du Simplon, puis en France, où le suivront Cesira, sa femme, et leurs enfants. Cette vie de labeur, d’éloignements et de retours de moins en moins triomphants au village, est rythmée par les guerres (pour le grand appétit en chair à canon desquelles la Mère Patrie italienne se rappelle opportunément à ses enfants) et les pandémies (de grippe espagnole), qui déciment sa génération. Jusqu’à l’avènement des fascistes italiens, qui le décide à s’établir définitivement en France.
Le titre, Interdit aux chiens et aux Italiens, évoque ces pancartes, bien réelles, qui fleurirent dans ces années-là à la devanture des cafés en France et en Belgique et rappelle combien l’immigration d’alors, toute italienne, européenne qu’elle fût, donna lieu à de violents déchainements racistes – tout comme d’autres immigrés en feront les frais par la suite, jusqu’à aujourd’hui. Sur 50 ans, à travers l’odyssée emblématique de ses grands-parents, Alain Ughetto raconte les déplacements successifs de ces ouvriers dignes et courageux et de leurs familles. Ouvriers qui, au gré des chantiers, mirent à disposition toutes leurs forces pour permettre à la France de se construire et de se reconstruire – et y laissèrent parfois leur vie.

À côté des personnages en pâte à modeler, très attachants, Alain Ughetto fait le choix artistique d’utiliser les éléments qui faisaient la vie des paysans et maçons italiens : châtaignes en guises de pierres, brocolis pour représenter les arbres, carrés de sucre pour évoquer les murs… Il n’hésite pas non plus à intervenir, à intégrer sa propre main au récit. Une main héritière des talents légués par son père et avant lui son grand père, symbole magnifique d’une fière lignée d’ouvriers et d’artisans. À l’heure où l’Italie renoue avec ses démons nationalistes et où l’Europe se barricade, Interdit aux chiens et aux Italiens est dédié à toutes les familles contraintes à l’exil et sonne comme un rappel poétique et humaniste aux leçons de l’Histoire – qui a malheureusement une furieuse tendance à hoqueter.

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