Je le jure

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VF – De Samuel Theis

Avec Julien Ernwein, Marie Masala, Marina Foïs
26 mars 2025 en salle | Drame, Judiciaire

Synopsis et critique : Utopia

Le tout premier film de Samuel Theis reste gravé dans nos mémoires. Party Girl, un petit bijou atypique fabriqué à six mains (avec Marie Amachoukeli et Claire Burger), né d’une idée de Samuel, fils d’Angélique, elle-même personnage et actrice principale surgissant pour la première fois à l’écran. Inoubliable, elle aussi. On y découvrait une France invisible, avec des héros – mais surtout des héroïnes du quotidien soudain rendues éblouissantes. Non qu’elles accomplissent de grands exploits, mais parce que leur gourmandise et leur courage pour affronter les difficultés de la vie, leur façon bravache de refuser les préjugés, de s’accepter, de se faire accepter était, sans esbroufe, une forme d’acte politique. Des femmes « mûres », filmées avec amour, dans la beauté des sillons de leurs peaux qui racontent de longs cheminements de vie.
C’est avec le même bonheur que l’on retrouve dans Je le jure cette ambiance singulière, et une partie de la tribu du clan mosellan. Car ce troisième film, comme le premier, tout comme le deuxième (très chouette Petite nature), est tourné en Moselle. Mises bout-à-bout, les trois fictions forment un peu comme une trilogie, qu’on peut voir dans n’importe quel ordre, et dont le territoire mosellan est un personnage à lui seul. Il touche à l’universel avec ses langues mêlées, ses récits d’immigration et de déracinement, et ses paysages désindustrialisés. Et cette fois encore, le réalisateur mélange acteurs professionnels et amateurs – on se casserait les dents à les distinguer tant ils incarnent avec intensité des personnages plus vrais que nature, sans faux semblants.

Malgré sa taille et son physique avantageux, Fabio est un taiseux. Un manuel. Et quand il parle, c’est pour avertir en préambule qu’il n’en a pas l’habitude, qu’il n’est pas sûr d’utiliser les bons mots. Peut-être son milieu ne lui a-t-il pas permis de les acquérir, mais il y a beaucoup plus de subtilité dans cet homme, beaucoup plus de fragilités que son apparence ne le laisse penser. Pas très à l’aise, il reste un mystère pour ses intimes. Incapable d’assumer la grande liaison de sa vie avec Marie, d’avoir envers elle de petits gestes, des attentions spontanées en public, de l’enlacer comme cela se fait. Cet homme enfermé en lui-même par la peur du regard d’autrui, il faut admirer la patience de sa petite amie secrète pour l’apprivoiser. Elle qui se désespère parfois, en souffre, et qui aimerait enfin que leur histoire puisse se vivre au grand jour. Mais c’est loin d’être gagné et leur avenir semble dans une impasse.
C’est un courrier inattendu qui va venir précipiter les choses. Une lettre qui n’a pourtant rien à voir avec leur intimité : la Justice a tiré au sort Fabio pour qu’il soit juré dans un procès d’assises. Son premier réflexe est de vouloir se défausser. Marie fait alors de la pédagogie : il n’a pas vraiment le choix. C’est donc d’abord à reculons qu’il ira au tribunal, véhiculé par sa douce qui le propulse, le dorlote, mais tout ce même un peu frustrée que Fabio, le soir, soit incapable de lui raconter ce qu’il a vécu, de mettre des mots sur ses ressentis, se réfugiant une fois de plus dans le silence…

Cela pourrait-être un « film de procès » habituel. Samuel Theis en fait tout autre chose. Plus encore que l’accusé, un jeune pyromane paumé, ce sont les jurés qui se révèlent peu à peu. Mais c’est surtout la transformation intérieure de Fabio que le film donne à voir, sans grands éclats, avec finesse et sobriété. Je le jure résonne comme une libération, pas celle qu’on attendait.

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