Joyland

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[Cinéma] – VOST (PK) – De Saim Sadiq

Avec Ali Junejo, Alina Khan, Sania Saeed
2h 06min / Drame, Romance

Synopsis et critique : Utopia

Joyland, magnifique mélodrame familial pakistanais (le premier film pakistanais jamais sélectionné à Cannes !), fait partie de ces grands films qui, mine de rien, nous font faire un pas de côté, remettent en cause mille et une idées préconçues (sur la famille, sur le rigorisme religieux, sur le Pakistan, sur le désir et la sexualité…), et sont une salutaire bouffée d’air frais pour nos petits neurones ankylosés dans un confortable ronron ethnocentré. Rien de ce qui est humain ne nous est étranger, peut-être, encore faut-il avoir l’occasion de s’y intéresser. Par exemple, qui irait se pencher sur la famille de Haider ? A priori, rien de bien folichon dans cette maison un peu vétuste où cohabitent trois générations d’une même famille : les vieux parents, le jeune Haider et son épouse, le frère de Haider et sa descendance qui, de grossesse en naissance, ne cesse de s’agrandir. Les uns travaillent pour assurer le minimum vital à la petite communauté, les autres font tourner la maisonnée. Mais si on y regarde d’un peu plus près, ce microcosme est moins banal qu’il n’y paraît. Dans cette cellule familiale dominée par des principes patriarcaux, Haider, faute d’emploi, est celui qui s’occupe du ménage et des enfants. Consécutivement, la pression paternelle vis-à-vis d’un fils jugé trop faible, pas assez entreprenant et de surcroît incapable de lui fournir un héritier, se fait de plus en plus pesante, jusque dans sa vie de couple. Comble de l’indignité, c’est le salaire de sa femme qui permet de pourvoir aux besoins du jeune ménage – et de participer à ceux de la maisonnée, où chacun vit sous le regard des autres. Lorsqu’un ami l’aiguille sur une place dans un cabaret, Haider n’hésite pas longtemps. Mais s’il raconte à sa famille qu’il a trouvé un poste de régisseur, la réalité est tout autre : malgré son inexpérience, Haider a été embauché comme danseur dans la troupe de Biba, une performeuse transexuelle qui rêve d’être en haut de l’affiche. Le jeune homme découvre peu à peu le monde de la nuit et, écartelé entre les injonctions qui pèsent sur lui et l’irrésistible appel de la liberté, se découvre gagné par une attirance inattendue pour Biba.

Le réalisateur aurait pu forcer le trait de la tragédie pour surligner l’éphémère de l’impossible amour entre la diva fantasque et le garçon timide et marié, dont les plaisirs sont aussi lumineux, brefs et illusoires que les tours de manège de Joyland, le parc d’attractions voisin qui donne son titre au film. Mais c’est avec finesse et intelligence que Saim Sadiq décrit le triangle amoureux, en accordant une grande place à l’épouse. Femme pétillante et moderne, elle n’est pas dupe de la situation et montre une empathie étonnante pour son époux – elle-même victime collatérale du jeu de mensonges auquel se livrent tous les membres de la famille pour tenter de garder sa cohésion. Quand au personnage de Biba, elle est étonnamment représentative de l’ambigüité des personnages transgenres au Pakistan. Les Hjiras sont à la fois rejetés et souvent pauvres mais aussi objet de fascination et constituent une caste reconnue. Cette fascination ambivalente de la société pakistanaise, Saim Sadiq la magnifie dans sa mise en scène, saisissante dans la captation des chorégraphies qui évoquent l’univers coloré de Lollywood (l’équivalent pachtoune de Bollywood) ou dans des scènes teintées de poésie surréaliste – notamment cette très belle séquence dans laquelle Haider transporte à moto à travers Lahore, de nuit, l’effigie géante en carton de Biba. Tout en nuances et en complexités subtilement dénouées, au-delà de ses attraits pittoresques vite estompés, Joyland est une pure merveille de délicatesse, qui met à bas bien des préjugés.

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