VF – De Patricia Mazuy
Avec Hafsia Herzi, Isabelle Huppert, Noor Elsari
28 août 2024 en salle | 1h 48min | Drame
Synopsis et critique : Utopia
Comme son titre ne l’indique pas forcément, La Prisonnière de Bordeaux est avant tout une comédie pétillante où il est question de liberté. Le scénario, écrit à l’origine par Pierre Courrège et François Bégaudeau, avait séjourné quelques années à l’ombre, relégué dans un placard de 9m2 où s’entassaient d’autres détenus, jugés sans être forcément coupables, avant de s’évader grâce à Patricia Mazuy qui, en 2019, en reprit l’écriture avec François Bégaudeau, avec qui elle avait déjà travaillé sur deux projets inaboutis en 2010 et 2015. Sans doute est-ce cette complicité murie sur plusieurs années qui fait que les dialogues sont aussi finement ciselés et le scénario particulièrement réussi. Quelle est la part de l’une ou de l’autre ? Difficile de le dire, même si on soupçonne l’ironie incisive et vivace de Bégaudeau de ne pas y être pour rien.
Une autre grande réussite du film est bien évidemment l’alchimie du duo formé par Isabelle Huppert et Hafsia Herzi (déjà à l’oeuvre dans le récent Les Gens d’à côté d’André Téchiné), la première qu’on ne présente plus mais qui réussit toujours à nous surprendre malgré son omniprésence dans le cinéma français depuis des décennies, et la seconde qui, mine de rien, a déjà pas mal de films, et non des moindres, à son actif, dont le tout récent et très réussi Borgo où elle jouait une surveillante… de prison !
Toutes deux ont dans leurs valises de nombreux personnages qui portaient émancipation féminine, sororité et lutte des classes, comme autant de vies antérieures qui imposent la vérité de leurs personnages, autant de sous-couches telles des peintures à l’huile qui construisent la profondeur de leurs portraits. Isabelle Huppert, figure tutélaire évidente et chabrolienne, jouant le rôle de l’épouse d’un médecin de province, on pense à Madame Bovary, mais elle a aussi ce grain de folie de la petite postière de La Cérémonie, prête à renverser la table. Hafsia Herzi porte en elle toutes ces femmes issues des classes populaires, depuis La Graine et le mulet jusqu’à Borgo. Le film met les carrières des actrices au service de la description du déterminisme social que leur rencontre va envoyer promener.
Alma, seule dans sa grande maison en ville, et Mina, jeune mère dans une lointaine banlieue, ont organisé leur vie autour de l’absence de leurs deux maris, détenus au même endroit… La prison a cette particularité de gommer les différences sociales : il n’y a plus de médecin véreux déchu, plus de pauvre voleur de bijouterie, il n’y a que des détenus et personne ne souhaite évoquer les raisons de leur incarcération. C’est la même chose côté parloir qui fait que ces deux femmes vont pouvoir se rencontrer, s’engager dans une amitié aussi improbable que tumultueuse, la riche et la pauvre, la blanche et l’arabe, construire une relation forte et même drôle, irriguée par les rapports de classe, et leur faire prendre conscience qu’en fin de compte, ce sont peut-être elles les prisonnières, plus que leurs maris. Alma et Mina deviennent comme poreuses l’une à l’autre, l’arrivée de la seconde dans la grande maison et dans la vie solitaire de la première catalyse chez Alma la conscience de sa vie misérable dans les dorures et les fleurs. Ces situations inversées, les dames dehors, les maris en prison, est un ressort parfait de comédie qui verra ces deux femmes enfermées dans leur rôle social jouer les « filles de l’air ».