VF – De Carine Tardieu
Avec Valeria Bruni Tedeschi, Pio Marmaï, Vimala Pons
19 février 2025 en salle | 1h 45min | Drame
Synopsis et critique : Utopia
La rencontre, sous nos yeux de spectateurs, de deux personnages ; la naissance du lien subtil qui va les attacher l’un à l’autre, d’abord ténu, puis de plus en plus puissant, est toujours un moment de cinéma fort et émouvant. Quand il s’agit d’un adulte et d’un enfant, et que ces deux-là n’ont pas pour bâtir leur histoire le socle des liens du sang, l’histoire, tout en subtilité et en délicatesse, est alors bouleversante. Toute la filmographie de Carine Tardieu est traversée par cette idée du lien, comme un fil rouge qu’elle déroule inlassablement, pour en révéler les couleurs chatoyantes et les nœuds invisibles, la douceur et la rugosité, la fragilité et la robustesse. Film après film, elle s’aventure un peu plus profondément sur ce terrain complexe et mouvant, la légèreté de ses premières œuvres, plutôt des comédies (La Tête de maman, Du vent dans les mollets…), laissant peu à peu la place à quelque chose de plus profond. Comme un voyage intérieur qui mène à la source, aux fondamentaux : l’amour profond, pur, comme une évidence brute entre deux êtres, l’apprivoisement réciproque, inattendu, entre un gamin de sept ans, curieux de la vie, spontané, et une solide quinquagénaire à l’instinct maternel atrophié, au premier abord même un chouïa atrabilaire.
Ils sont voisins de palier. D’un côté une famille qui est sur le point de s’agrandir avec la naissance imminente d’un second bébé. De l’autre Sandra (épatante Valéria Bruni Tedeschi dans un rôle à contre-courant), quinqua célibataire qui vit entourée de livres et dirige avec passion sa librairie féministe indépendante. Quand l’heure de la maternité sonne, Cécile et Alex, les heureux parents confient naturellement Elliott, leur aîné, à Sandra qui n’avait pas franchement mis cette garde au planning. Il n’empêche qu’elle va prendre le gamin chez elle, pour rendre service, parce qu’elle aime bien cette famille et parce qu’au fond, derrière ses lunettes d’intello un peu bourrue, elle a un cœur d’or. Mais la vie parfois réserve de funestes surprises… et c’est seul avec son nouveau-né qu’Alex revient de la maternité.
Sans s’attarder sur la disparition de la mère, le film démarre à partir de ce point de rupture son véritable récit : celui de la reconstruction d’une famille traversée par le deuil mais viscéralement tournée vers la pulsion de vie incarnée par ce bébé, et parallèlement celui de l’attachement entre Elliott et Sandra, qui va se tisser comme une certitude, comme un instinct, comme un réflexe archaïque qui les pousse dans les bras l’un de l’autre. Chez l’enfant, c’est le besoin d’être écouté, rassuré, entouré de tendresse, d’attentions, de sécurité. Chez l’adulte, c’est l’irrépressible élan d’ouvrir grand le cœur et les bras pour offrir tout cela. Sandra, femme libre, résolument ignorante des diktats du patriarcat, revendiquant son indépendance et assumant un célibat qu’elle ne cherche jamais à justifier, est soudain ébranlée par l’affection que lui porte ce petit garçon et voit ses fondements vaciller malgré elle. Elliott, quant à lui, s’attache d’autant plus facilement à Sandra qu’elle n’est précisément pas maternelle mais plutôt dans la retenue. Elle lui parle avec franchise et maturité, et il peut nouer une relation sans risquer de trahir le souvenir de sa mère.
Entre eux deux, Alex, hypersensible, traversé par des émotions contradictoires et des sentiments parfois confus, ne sachant que faire de tout l’amour qui vit en lui, va naviguer entre ces deux rives humaines dont on comprend qu’elles sont à la fois sa boussole et son port d’attache. Parce que l’attachement, c’est aussi ce qui fait briller intensément la vie des grandes personnes.