Le dossier Maldoror

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VF – De Fabrice Du Welz

Avec Anthony Bajon, Alba Gaia Bellugi, Alexis Manenti

15 janvier 2025 en salle | 2h 35min | Policier, Drame, Thriller

Synopsis et critique : Utopia

Comme les chants du même nom, Le Dossier Maldoror est une évocation sombre, abrupte, nauséeuse parfois et néanmoins traversée de fulgurances poétiques, de l’essence du Mal. Une méthodique descente aux Enfers du quotidien, physiquement, moralement crasseux, dans lequel s’embourbe jusqu’à l’obsession Paul Chartier (formidable Anthony Bajon), un tout jeune gendarme même pas vraiment idéaliste – ou en tous cas pas conscient de l’être. Un thriller noir dérangeant, au suspense coriace, qui pourrait n’être qu’effroyable et étouffant si Fabrice Du Welz n’y associait opportunément une dimension historique et sociale passionnante, un tableau familial riche, complexe, qui, pour décrire ces années 1990 dans ce milieu populaire précis issu de l’immigration, dans cette partie de la Belgique saignée à blanc par la désindustrialisation, donnent au film un air de fresque à l’ampleur inattendue.

En ce temps-là, en Belgique, pas moins de trois forces policières, police communale, police judiciaire et gendarmerie nationale, cohabitent pour assurer l’ordre et la sécurité des citoyens. Et comme de bien entendu, la guéguerre des polices fait rage, chacun à son niveau met tout en œuvre pour entraver la marche de l’enquête des deux autres. Tant qu’il s’agit de cavaler après les voleurs de poules, ça vous a un côté ridiculement désuet, on s’en amuse. Mais le jour où deux gamines, bientôt trois, sont enlevées, disparaissent sans laisser de traces, ça ne fait plus rire du tout. Croyez-vous que ça suffise à changer les petites habitudes revanchardes des forces de l’ordre ? Eh bien non : chacun enquête dans son coin, se réserve ses pistes, ses découvertes, ignore délibérément les avancées du voisin… tandis que, chauffée par les médias, monte fiévreusement l’inquiétude populaire. Paul Chartier, lui, est depuis peu gendarme. Jeune, tête brûlée, instinctif, miraculeusement sauvé des eaux troubles du petit banditisme auquel il était prédestiné, il aurait des comptes à régler avec la terre entière. Mais il cherche plutôt la réconciliation, prépare ses noces avec la délicieuse Jeanne – et avec elle il épouse la communauté soudée, puissante, généreuse, des Siciliens de Charleroi. Paul est affecté par son chef à la mission Maldoror : la surveillance d’un agresseur multirécidiviste, possiblement lié aux enlèvements de fillettes. De fil en aiguille, d’intuition en découverte, d’empêchements en déconvenues, convaincu de tenir un fil ténu et dévasté lorsque l’institution et la logique des conflits internes brident l’élan d’une enquête qui vire à l’obsession, Paul vrille, perd pied, s’enfonce tête baissée et bientôt seul dans les tréfonds fangeux de « l’affaire ».

Coupons court à toute spéculation voyeuriste : si le réalisateur et son co-scénariste se sont largement inspirés de l’histoire et des méfaits de Marc Dutroux, s’ils en utilisent des éléments factuels évidents, le film – et c’est sa force – n’est pas strictement « adapté » de cette affaire criminelle. Fabrice Du Welz et Domenico La Porta, portés par un besoin de justice et de catharsis collective, font bifurquer leur récit vers la fiction – vers une résolution alternative, bien différente de la réalité et de ce qu’il advint de Marc Dutroux et de ses complices. Le résultat est bluffant. Se réclamant à la fois des grands films d’enquêtes obsessionnelles (Zodiac, plus près de nous La Nuit du 12…) et du cinéma policier français engagé des années 70 (d’Yves Boisset à Alain Corneau), Fabrice Du Welz réalise mieux qu’une synthèse : un film enthousiasmant qui ne ressemble qu’à lui. À la fois documenté, profondément attaché à l’humanité de ses personnages d’enquêteurs et de leurs proches, passionné par la banalité de la monstruosité et rehaussant le réalisme nécessaire d’un soupçon de fantastique, Le Dossier Maldoror est un grand film, dérangeant et passionnant.

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