L’innocence

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VOST (JP) – De Hirokazu Kore-eda

Avec Sakura Andô, Eita Nagayama, Soya Kurokawa
2h 06min / Drame, Thriller

Synopsis et critique : Utopia

« Tout ce que tu ne peux pas dire, souffle-le. »

Devenu adulte, éventuellement parent, que sait-on de la vie des enfants, de leurs aspirations, de leurs rêves, de leurs émois ? Tout bien considéré : pas grand chose. Et sait-on leur parler – je veux dire, parler vraiment, écouter, échanger ? Sans doute pas beaucoup plus. Encore faudrait-il en avoir le temps, ou l’énergie. De temps et d’énergie, la mère de Minato n’en a guère, elle qui élève seule ce gamin d’une dizaine d’années, avec tout ce qu’elle a d’amour et de tendresse. Affairée entre le boulot, les courses, le ménage et la cuisine, elle voit bien que son petit d’homme traverse une mauvaise passe. Plus sombre, moins attentif, moins présent, moins gentil aussi… Minato vu par sa mère, c’est beaucoup d’inquiétude – et, sans doute, une suspicion de harcèlement. Dont le gamin serait victime, de la part de ses camarades. Ou d’un enseignant. Et qui affecterait son moral et son caractère. Minato vu par sa mère, c’est un bon petit, doux, fragile et attentionné, qu’un événement extérieur a transformé en cet ado (pas tout à fait encore) inconnu, secret, renfermé et possiblement violent (il y a des signes qui, certainement, ne trompent pas). Minato vu par sa mère, c’est cette angoisse qui lui serre le ventre et qui la transforme en louve, déterminée à sauver son louveteau. Quitte à ruer dans les brancards de l’administration scolaire, au mépris des conventions, pour désigner des responsables, accuser – ce prof, cet élève, la direction…

Des points de vue sur Minato, il y en aura trois : celui de la mère, celui de l’enseignant et celui de l’enfant lui-même. Trois regards qui se recoupent, se complètent, se contredisent. Trois récits qui racontent la même histoire, au même moment, bornée par des motifs répétés comme autant de repères dans le temps : tel attroupement dans une cour, telle sirène qui hurle, et surtout tel immeuble dont le dernier étage a pris feu, on ne sait par quel acte de malveillance. Trois fois le même fragment de vie, trois récits qui se superposent dans un même laps de temps, l’étirent à peine, pour compléter d’un détail ou d’une bribe d’information le portrait qui se dessine en transparence d’un enfant insaisissable.
Inlassablement, l’ami Kore-Eda sur son métier remet l’ouvrage pour dire la famille, l’enfance, la société japonaise corsetée. Et c’est à chaque fois un bonheur renouvelé que de redécouvrir son cinéma dont la grande ambition est de rester modeste. Tout en douceur, aussi peu spectaculaire que possible mais qui nous traverse pourtant d’un tourbillon d’émotions, du rire aux larmes, en ayant l’air de ne surtout pas les provoquer. Et nous, que voulez-vous, à chaque fois on marche et on en redemande !

Après deux échappées en France (La Vérité) et en Corée (Les Bonnes étoiles), Kore-Eda revient au Japon puise à nouveau dans le petit sac d’ingrédients qu’il aime travailler, s’adjoint (chose rare sinon unique) les services d’un scénariste chevronné et nous offre avec L’Innocence rien de moins que l’un de ses plus beaux films. Le mystère Minato, qu’il détricote sous nos yeux ébahis, prend des chemins de traverse inquiétants, parfois sombres, à la lisière du thriller fantastique. La recherche de la vérité sur l’enfant met discrètement à nu les rouages sévères du monde des adultes, la violence physique et sociale qui les contraint, mais aussi leurs failles et leur complexité. C’est que, nous dit le cinéaste, leur regard est tel qu’il ne voit pas spontanément la lumière et – justement – l’innocence. Laquelle n’est jamais très loin. Là, juste sous nos yeux.

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