A partir de 4 ans – De Pablo Berger
1h 42min / Animation, Comédie
Synopsis et critique : Télérama
Il est livré en pièces détachées, ferraille et boulons, supplément d’âme inclus. À monter soi-même, avec beaucoup de tendresse. Tel est le robot de compagnie que DOG repère un soir aussi vide que les autres, par-dessus son plateau repas réchauffé au micro-ondes, dans une émission de téléachat. Comme son nom l’indique, DOG est un chien, du moins en apparence : ce doux célibataire rondouillard, résident d’un Manhattan uniquement peuplé d’animaux (bipèdes) de tous poils, plumes ou écailles, appartient plutôt à l’espèce rare — et très humaine — des personnages qui vous tiennent à cœur longtemps après le générique de fin. Tout comme ROBOT, cette grande et bienveillante boîte de conserve ambulante que DOG commande par téléphone, parce que, bien sûr, tout le monde a besoin d’un ami, même fabriqué en usine.
Et ça marche, dès l’allumage de l’affable machine, dès le premier regard. Ça marche joyeusement, patte dans la main, dans les rues d’un New York vintage, années 70 ou 80 minutieusement reconstituées, avec ses boutiques de prêteurs sur gage, ses façades de briques rouges, ses bandes de punks et ses vendeurs ambulants de glaces moelleuses et hot dogs saturés de moutarde, ses balades colorées en patins à roulettes dans les allées de Central Park. Ce voyage dans le temps, bric-à-brac fastueusement détaillé, jusqu’au plus petit objet, constitue bien plus qu’un décor de dessin animé, aussi complexe que ses habitants sont simplement croqués, traits cocasses, courbes naïves. C’est une immersion nostalgique dans le grand bain d’une époque révolue, un présent au passé qui suggère, mine de rien, que tout ce qui paraît acquis peut être perdu.
Ainsi le bonheur à deux de DOG et ROBOT échoue-t-il un soir d’été sur une plage de Coney Island. Littéralement. Affaire de rouille, de circuits noyés, après une baignade imprudente, qui sait. Toujours est-il que l’ami mécanique est en panne. Soudain paralysé, rivé à sa serviette de bain. Trop lourd à transporter. Tant pis, DOG revient le lendemain avec l’équipement nécessaire… et se heurte à d’immenses grillages, gardés par un policier vigilant. La plage est fermée pour l’année. Les saisons passent, tandis que le chien s’épuise en vaines tentatives de sauvetage, et que le robot rêve — comme l’annonce d’ailleurs le beau titre original du film, Robot Dreams — d’évasion et de retrouvailles.
De Halloween à Noël, de mésaventures en chutes de neige, l’un doit composer sans l’autre, dans une fable drôle, sensible et poignante sur les vicissitudes de la séparation. Faut-il sombrer ou s’entêter, renoncer, réapprendre à aimer autrement, ailleurs ? Par petites touches successives d’une délicatesse inouïe, le film raconte comment la vie, têtue, reprend ses droits : ROBOT devient l’abri d’une adorable nichée d’oiseaux, la proie d’un ferrailleur, l’ami d’un bricoleur… Sur le frigo de DOG, de nouvelle notes recouvrent peu à peu le pense-bête qui indiquait le jour de réouverture de la plage…
Qu’adviendra-t-il du drôle de couple, si attachant ? La grande force de ce suspense affectif, à la fois ténu et intense, est d’être accessible et touchant pour tous les publics : le manque, le risque de péremption d’un lien d’amour, quel qu’il soit, rôde aussi bien dans la cour des petits que dans celle des grands. Le réalisateur espagnol Pablo Berger réussit l’exploit rare de se placer à hauteur d’enfant, tout en s’adressant subtilement aux adultes. Pas seulement grâce à l’émotion que délivre un thème universel. Truffé de références ludiques, le film est aussi une vaste pochette-surprise pour tous les spectateurs cinéphiles : une affiche du film Yoyo, de Pierre Étaix, dans le petit appartement de DOG, deux fillettes déguisées pour Halloween comme les jumelles du Shining de Stanley Kubrick, un plan copié à la seconde près sur le fameux Steamboat Bill, Jr de Buster Keaton, sans parler du Magicien d’Oz ou des Trois Petits Cochons…
Mille autres trésors de brocanteur, clins d’œil malicieux à des fétiches culturels de toutes sortes jalonnent cette ambitieuse coproduction franco-espagnole, le premier long métrage d’animation d’un réalisateur dont on connaissait le sens de l’humour insolite (Abracadabra, en 2017), le goût pour les reconstitutions (l’Espagne franquiste des années 70 dans Torremolinos 73, en 2003), mais aussi pour l’expérimentation narrative et esthétique — une réinvention à la fois moderne et rétro de Blanche-Neige dans un Biancaneves muet en noir et blanc, son film le plus connu et reconnu, sorti en 2012.
Cette fois, il adapte magistralement Rêves de robot, la bande dessinée de l’autrice et illustratrice new-yorkaise Sara Varon, star de la littérature pour enfants. Le style vivant et épuré, l’humour à la fois ironique et candide des livres de cette dernière, peuplés d’animaux anthropomorphiques, est ici enrichi, approfondi, brillamment revisité. Comédie fantaisiste, conte mélancolique, aventure à la fois urbaine et intime, ce dessin animé merveilleusement neuf dépasse tous les cadres, hormis l’écran magique du cinéma. Un espace libre pour apprendre à grandir et à s’épanouir dans les fêlures de la vie, à n’importe quel âge.
Hymne à l’amour
La bande originale du film, avec ses allègres tubes d’époque, constitue un « décor » sonore incontournable, donnant par moments au film des allures de comédie musicale. Parmi tous ces vieux rythmes familiers, un titre revient sans cesse dans le récit, comme un refrain : September, du célèbre groupe de funk Earth, Wind and Fire, n’a cessé de faire danser la planète depuis sa sortie, en 1978. À la fois éminemment guilleret et empreint de nostalgie (« Tandis que nous dansions, souviens-toi comment les étoiles chassaient l’obscurité », disent les paroles), ce monument de l’ère disco accompagne parfaitement l’histoire de DOC et ROBOT, de leurs joyeux débuts — fiesta à Central Park — au sifflotement mélancolique du robot lorsqu’il rêve désespérément de rentrer chez lui. Un drôle d’hymne à l’amour, qui touche au cœur et reste en tête, comme le film.