VF – De Guillaume Nicloux
Avec Sandrine Kiberlain, Laurent Lafitte, Amira Casar
18 décembre 2024 en salle | 1h 38min | Drame, Romance
Synopsis et critique : Utopia
Sarah Bernhardt, « celle qui a visité les deux pôles, qui de sa traîne a balayé de long en large les cinq continents, qui a traversé les océans, qui plus d’une fois s’est élevée jusqu’aux cieux »… Ainsi Anton Tchekhov, alors étudiant en médecine et pigiste fauché, décrit-il l’actrice lors de sa tournée en Russie en 1881. Il est inconnu, il n’est qu’un futur nom prestigieux dans l’incommensurable aréopage qui entoure celle qu’on peut qualifier de première « star mondiale ». Pourtant, que sait-on réellement d’elle, malgré ses mémoires dans lesquelles, véritable chroniqueuse d’elle-même, elle renforce sa légende, se réécrit voire se réinvente ? Dans le fond il reste très peu de traces tangibles de cette bête de scène, pour laquelle Jean Cocteau créa l’expression « monstre sacré », celle qui fut l’égérie d’un monde où les enregistrements, a fortiori les caméras n’en étaient qu’à leurs balbutiements. Que reste-t-il de « La Voix d’or » telle que la surnommait Victor Hugo, de son magnétisme ? On ne peut que rester baba devant quelques clichés d’archives, devant les images de foule incontrôlable de quarante mille personnes venues assister à ses obsèques. On ne peut qu’admirer ses toiles, ses sculptures, son style, relire les éloges de ses prestigieux admirateurs (et admiratrices)… Chez elle défilait un véritable Panthéon de personnalités : Zola, Proust, Rostand, Freud, Musset, les Guitry père et fils, Wilde… Que des hommes ? Non pas que… des femmes aussi. Des ami·e·s, amant·e·s, en tout cas des êtres passionnels, passionnés, vite séduits, vite consommés… Vite oubliés ? Pas forcément… L’existence est tellement plus complexe que cela, particulièrement celle de la Grande Sarah. Et tout ce que l’on écrit ici n’est rien, n’est que l’infime glaçon émergé d’un iceberg en fusion…
Le sujet – une telle tornade ! – méritait de s’émanciper des passages obligés qui plombent les biopics classiques. Le parti pris du réalisateur Guillaume Nicloux et de sa scénariste Nathalie Leuthreau est radical, comme le fut la virevoltante, pétillante, exubérante, insatiable, tyrannique, etc. Sarah Bernardht ! C’est dans les blancs de son existence, les moments les moins renseignés qu’est venu se lover le scénario : entre la consécration en grande pompe de « La Divine » et « La Mère-Lachaise » comme elle se surnommait elle-même pour faire un pied de nez à sa jambe de bois, préférant faire rire que pleurer. Plus qu’une reconstitution littérale, c’est une évocation ardente à laquelle le film nous convie, servi par une troupe admirable d’acteurs. En tête desquels bien sûr une exceptionnelle Sandrine Kiberlain, qui illumine l’écran avant d’en déborder, tout comme la Grande Sarah, débordait de ses corsets et même les envoya valser à une époque où cela ne se faisait pas. Sandrine nous rend Sarah presque palpable, là, dans la salle obscure, à portée de main. C’est jubilatoire ! Elle explose comme la Diva explosait parfois de colère ou de joie, faisant prendre chair à l’envers du décor. Et ce dernier est somptueux. Il fallait un écrin fastueux, une débauche de dentelles et de froufrous soyeux pour espérer approcher un peu la vérité de cette femme libre, complexe et sans complexes, presque plus moderne que ne l’est notre époque. Une femme refusant tout carcan, osant tout, maniant aussi bien l’épée que l’art du mensonge et de la mauvaise foi, ne ployant jamais le genou qu’elle avait pourtant indocile et fragile. Sarah Bernhardt fut un esprit libre, s’affranchissant des convenances, refusant d’être cantonnée dans des rôles de femmes, s’accaparant ceux des hommes, endossant la personnalité d’un Hamlet ou d’un Aiglon aussi bien que celle de la Dame aux Camélias. Un être sans limite, se taillant une part belle dans la vie comme dans les textes qu’elle remodelait à sa mesure ! Un film formidable sur une artiste littéralement extra-ordinaire.