VOST (GB) – De Ken Loach
Avec Dave Turner, Ebla Mari, Claire Rodgerson
1h 53min / Drame
+ Busline35A – 2021/DK/6mn (court métrage précédant le film)
Synopsis et critique : Utopia
Le vieux chêne.
Est-il encore besoin de présenter Ken Loach, jeune homme de 87 ans ? Une fois de plus (mais en a–t-on jamais assez, surtout par les temps qui courent ?), son film fait le pas de l’individuel au collectif. Comment passe-t-on de la misère et de l’isolement – en un mot du désespoir – à la lumière ? Ken Loach, tout au long de sa filmographie, n’a cessé de nous offrir la même réponse : par la résistance collective, par la solidarité fraternelle, par la reconnaissance de l’enchevêtrement inextricable de nos destins personnels dans le grand mouvement politico-historique.
Cette fois-ci nous sommes dans le Nord de l’Angleterre, dans l’une de ces innombrables bourgades de briques rouges, miséreuses, désolées, ravagées par la crise industrielle et la fin de l’économie minière. Ces villages dans lesquels régnait autrefois un sentiment fort de cohésion sociale. Si le travail de la mine ne rendait pas riche, il donnait du moins la fierté et la certitude pour chacun de se savoir soutenu par les camarades en cas de coup dur. On ne va pas dire que c’était le bon temps, mais on se serrait les coudes, et l’infortune comme le bonheur ne s’envisageaient pas autrement que collectivement.
Le libéralisme a depuis tout déboisé. Et TJ Ballantyne, notre héros, tient à bout de bras ce qui semble être le dernier espace public du village : son pub, The Old oak. Or, depuis qu’un car rempli de réfugiés syriens a débarqué sans prévenir pour s’installer au village, les habitués y déversent sans complexe leur xénophobie, aussi facilement que les pintes traversent leur gosier. Ce ne sont pas les idées de TJ.
Dans ce décor que la lucidité peint en noir, où la pauvreté se trompe d’ennemi pour piétiner toujours plus faible qu’elle, va pourtant naître une amitié : celle entre TJ et Yara, une jeune femme syrienne dont la main semble vissée à son appareil photo. Son œil de photographe l’enjoint à voir plus loin que cette frontale hostilité que subit toute sa communauté : les habitants du village souffrent eux-même de l’indifférence du monde, de l’agonie de leur culture, de la calamité des frigos vides.
Alors ensemble, puis avec tous ceux qui voudront bien leur donner un coup de main, ils vont faire le pari de réinvestir l’arrière-salle du pub de TJ pour mettre en place une cantine solidaire, comme on le faisait à l’époque des grandes grèves : offrir aux plus démunis, locaux comme réfugiés, de quoi se sustenter. Le temps de quelques repas par semaine, être tous ensemble, rasséréner les âmes en même temps que les estomacs, voilà l’honorable et modeste projet. Parce que dès lors qu’elles sont reconnues et vécues collectivement, toutes les peines et les misères du monde deviennent supportables. Mais voilà, tout le monde au village ne sera pas de cet avis-là…
Inutile de préciser que Ken Loach trouve en Yara son alter ego. C’est à elle qu’il fera dire ce que l’on imagine avoir été le credo qui a porté toute sa vie de cinéaste : « Je choisis de voir la force et l’espoir. Cette appareil photo me sauve la vie ». Ken Loach, lui, comme toujours, choisit de voir la lumière dans ses personnages et les sauve. En les sauvant, c’est nous, c’est le monde qu’il sauve. Parce que connaître ses forces et faire la lumière, c’est déjà résister. Parce que partager un repas ou un film au ciné, c’est déjà être uni.