[Cinéma] – De Mathieu Vadepied
Avec Omar Sy, Alassane Diong, Jonas Bloquet
1h 40min / Drame, Historique, Guerre
Synopsis et critique : Utopia
Mathieu Vadepied est un réalisateur inconnu, ou presque, dont on avait programmé un premier long métrage en 2015, La Vie en grand, qui nous avait séduit par son intelligence et sa justesse. Mais avant d’être réalisateur, il avait fait ses premières armes comme assistant avec Raymond Depardon et Maurice Pialat, puis directeur de la photographie chez Jacques Audiard pour Sur mes lèvres et chez Olivier Nakache et Eric Toledano pour Intouchables. C’est durant le tournage de ce dernier qu’il rencontra Omar Sy et commença à lui parler du projet de film qu’il avait déjà en tête depuis 1998, quand il avait appris la mort du dernier tirailleur sénégalais (Abdoulaye Ndiaye, à l’âge de 104 ans, enrôlé de force en 1914). Projet d’une vie comme le dit lui-même Mathieu Vadepied, qui depuis l’enfance avait un rapport intime avec l’Afrique par son grand-père, il est devenu celui de deux vies, croisant celle d’Omar Sy, bien avant que ce dernier devienne mondialement célèbre, son implication grandissant année après année, jusqu’à devenir co-producteur du film. Fils d’un père sénégalais d’origine peule, peuple de tradition pastorale établi dans toute l’Afrique de l’Ouest, et d’une mère d’origine mauritanienne, Omar Sy parle la langue peule, employée en Afrique de l’Ouest comme langue véhiculaire par d’autres ethnies africaines, ce qui lui permit par son usage dans le film d’incarner son personnage avec une authenticité d’autant plus forte, jusqu’à faire oublier l’acteur. Muri sur plus d’une décennie, le scénario a évolué et ses personnages avec, Omar Sy devenant non plus un personnage de jeune soldat, mais celui d’un père voulant protéger son fils.
En 1917, des troupes françaises font irruption dans le village de Bakary Diallo pour recruter de force des jeunes soldats dont son fils Thierno, âgé de dix-sept ans. Il s’enrôle à son tour dans l’armée française pour le rejoindre et le protéger. Envoyés sur le front, père et fils vont devoir affronter la guerre ensemble. Galvanisé par la fougue de son officier qui veut le conduire au cœur de la bataille, Thierno va s’affranchir et apprendre à devenir un homme, tandis que Bakary va tout faire pour l’arracher aux combats et le ramener sain et sauf. Leur destin croisera celui d’autres tirailleurs venus des huit colonies d’Afrique-Occidentale-Française.
Le premier bataillon de tirailleurs fut créé en 1857. Les tirailleurs dits « sénégalais » (venus de toute l’Afrique) étaient près de 200 000 à combattre, 30 000 sont morts, beaucoup sont revenus blessés ou invalides. Rares sont les livres, et encore plus les films, qui retracent leur histoire. On ne connaît pas le nombre de tirailleurs recrutés de force, parfois avec violence. Ils ont été enrôlés dans toutes les guerres coloniales. Ce corps militaire a été dissous en 1960.
Tirailleurs n’aurait pu être qu’un simple livre d’illustrations, mais l’histoire même de ses créateurs, leur sincérité et leur engagement en ont raviné lentement la voie qui semblait toute tracée, évitant les ornières du film dossier esthétisant, pour le hisser sur une ligne de crête entre film populaire épique et récit intimiste qui nous qui prend aux tripes, sans trahir la mémoire de ces milliers de soldats inconnus. Leur volonté était ainsi que le film puisse être vu par le public le plus large possible afin de raconter cette histoire peu connue à hauteur de ceux qui l’ont vécue, de les rencontrer afin d’aider à construire une mémoire commune. Photographie, musique, scénario, interprètes… tous semblent s’être effacés pour tenir cette crête, servir avec force cette petite histoire pour témoigner de la grande, et c’est magnifiquement réussi.