De Eric Toledano, Olivier Nakache
Avec Pio Marmaï, Jonathan Cohen, Mathieu Amalric
1h 58min / Comédie
Synopsis et critique : Utopia
Y’a pas moyen : pour ceux qui tirent le diable par la queue, ceux-là mêmes que nos politiques n’en finissent jamais d’exhorter à « faire des efforts », ces histoires d’écologie, de réchauffement climatique et tutti quanti, c’est bien des trucs pour emmerder le pauvre monde – au mieux pour occuper les nantis à bicyclette. Quand l’essentiel d’une vie est chaque jour occupé par l’angoisse de dégringoler d’encore un échelon l’échelle sociale, la nécessité de trouver un toit, ou un quignon de pain, ou une énième combine pour se renflouer, on peut ne pas se sentir immédiatement concerné par les injonctions militantes à entrer en décroissance pour lutter contre les ravages du capitalisme. Même si on sent confusément que le miroir aux alouettes de la société de consommation qui produit à la chaîne du surendettement et de la pauvreté a tout à voir avec le productivisme forcené qui dézingue l’écosystème à une vitesse exponentielle. L’urgence commande de s’en foutre. Et le principe de survie de continuer à foncer tête baissée dans le mur, au fond de l’impasse.
Nakache et Toledano, ce sont un peu les « street medics » du cinéma français. À l’instar des soignants bénévoles qui accompagnent les manifs tout de blanc vêtus, ces deux-là semblent s’être donné comme mission de panser par le cinéma les maux de la société française. Portés par une très sincère empathie, doublée d’un don imparable pour la comédie rythmée et efficace, ces observateurs attentifs des mœurs de leurs contemporains s’attachent de film en film à jouer la carte du collectif là où, inlassablement, les élites politiques, économiques et médiatiques fragmentent, opposent les individus aux aspirations contraires et, pour mieux régner, divisent.
Ainsi de la défense des causes environnementales : on a tellement asséné aux plus précaires, depuis si longtemps, que c’était une lubie de nantis, de gosses de riches, que c’est devenu une évidence : d’abord, la survie individuelle – ensuite, peut-être, si on a le ventre plein, la défense du bien commun. C’est le credo de Bruno et Albert. Surendettés, sans domicile (ou si peu) fixe, ils vivotent au jour le jour – l’un de petits boulots, l’autre de combines à la lisière de la légalité. Seule lueur d’espoir : la vague possibilité d’un effacement de leurs dettes que la Banque de France pourrait décréter et à laquelle ils se raccrochent comme à l’ultime bouée du Titanic en train de sombrer. S’ils s’incrustent dans une réunion d’activistes écolos, ce n’est pas par conviction personnelle mais bien parce que la bière y est à prix libre – donc gratuite. S’ils s’ingénient à infiltrer et suivre les actions de ce groupe – qu’un Ministre de l’Intérieur pourrait toute honte bue qualifier d’éco-terroristes –, c’est surtout qu’ils entrevoient la possibilité d’en retirer, d’une façon ou d’une autre, des bénéfices directs. Et un peu pour les beaux yeux de Valentine, la pasionaria du mouvement. Tout l’enjeu du film étant bien sûr de voir comment, au contact de ces militants passionnés, va à leur insu se craqueler la carapace d’égoïsme qu’ils s’ingénient à revendiquer. Malins, les réalisateurs jouent de tous les clichés attachés à leurs personnages : le désintérêt supposé des précaires pour les causes environnementales, donc, mais aussi ceux qui sont attachés aux militants. Leur fonctionnement non oppressif, leur langage inclusif, leur extraction bourgeoise, tout est passé à la moulinette de la comédie à travers les yeux ébahis de nos deux pieds nickelés opportunistes – pour mieux être retourné et porté, in fine, au crédit des infatigables combattants. L’union fait la force, il y a tellement plus de causes qui nous rapprochent que d’intérêts qui nous séparent, semble nous dire le film. Et pour combattre l’éco-anxiété, mal du siècle commençant, il n’y a rien de mieux que l’amour – et la lutte. Mais c’est encore mieux en se connaissant – et en se comprenant.