[Ciné-débat / Découverte du monde / Voyage] – De Caroline Riegel
53min / Documentaire / 2020
Intervenant à confirmer
Sélections et distinctions
2021 • Festival Le Grand Bivouac • Albertville (France) • Sélection officielle
2021 • Festival de Cinema de Muntanya de Torelló • Torello (Espagne) • Sélection officielle
2021 • FIFMA – Festival International du Film de Montagne d’Autrans • Autrans (France) • Prix MEDIADOCS, Prix du public & Prix Alpes Is(h)ere
Synopsis et critique : France Info Culture
Dans une vallée himalayenne nichée à 3500 mètres d’altitude, vivent 13 000 âmes en harmonie, coupées du monde pendant de longs mois d’hiver. A cette saison, le seul moyen de se rendre dans cette vallée est de suivre Le Tchadar, un fleuve gelé au péril de sa vie. Il y a 15 ans, Caroline Riegel, est tombée amoureuse du Zanskar, cette vallée sublime, rebelle et délaissée au nord-ouest de l’Inde, dans le tout jeune état du Ladakh. Un lieu reclus, où les habitants se retrouvent prisonniers de la Grande Barrière Himalayenne lorsqu’elle est recouverte d’un épais manteau de neige. Elle a découvert cet endroit à l’aube de ses 30 ans, telle une vagabonde, le temps d’un hiver majestueux qui a changé son existence. Elle a vécu dans une vallée où la vie semblait paisible, collective et joyeuse. Elle y a fait l’expérience d’un hiver où rien n’était superflu et où le rire était omniprésent. Depuis, au fil des nombreux séjours qu’elle a effectué dans cette région, elle constate que l’isolement qui protège encore cette vallée des pressions d’un monde gourmand et ultra rapide n’est désormais palpable que l’hiver. Alors 15 ans après son premier voyage, elle décide de filmer l’hiver dans cette vallée et ses montagnes, de Janvier à mars 2020, afin de témoigner de ce Zanskar d’antan avant qu’il ne s’efface complètement.
Il y a des films comme ça, qui vous redonnent foi en l’Homme alors que l’actualité incite au repli sur soi. Des films qui vous mettent en joie et vous portent à croire que l’individualisme n’a pas pris le dessus partout, qu’ensemble on peut supporter bien des choses. Zanskar, les promesses de l’hiver, réalisé par Caroline Riegel, est de ceux-là. Ovationné dans plusieurs festivals de films d’aventure cet automne (avec 3 prix ce weekend au festival du film de montagne d’Autrans) il sera diffusé jeudi 16 décembre à 22h25 sur Arte et disponible sur arte.tv du 9 décembre au 13 février.
Une vie bouleversée
En janvier 2020, juste avant l’irruption de la pandémie, Caroline Riegel part une nouvelle fois vers le Zanskar, cette petite vallée perdue au nord-ouest de l’Inde qu’elle a découverte en 2004/2005, lors d’un premier grand voyage à travers l’Asie. Elle a décidé de passer un nouvel hiver avec celles qui sont devenues des amies très chères, 13 nonnes bouddhistes installées dans le village de Tungri, à 3700 mètres d’altitude. Une petite communauté qui a « bouleversé [son] existence » et à laquelle elle avait consacré un premier film émouvant et plein d’humanité, Semeuses de joie. « S’affranchir du temps, être dans l’instant présent, en immersion au plus près des gens, » c’est ce que recherchait alors la jeune femme.
Quinze ans plus tard et après de multiples séjours à Tungri qui lui ont permis de parfaire son apprentissage de la langue « et de l’amitié », un second projet a donc éclos avec Zanskar, les promesses de l’hiver. On est plongé d’emblée dans la rudesse de cette vallée himalayenne isolée et grandiose où l’on accède uniquement en longeant ou marchant sur le Tchadar, le fleuve encaissé normalement gelé en cette saison. Un périple semé d’embuches, pour lequel il faudra 10 jours (au lieu des 2 prévus) à Caroline, son compagnon Emmanuel Armand, deux nonnes et des villageois venus les chercher à Leh, avant d’accéder au village, enveloppé de son cocon neigeux. Jusqu’au mois de mars, elle va filmer le quotidien de ses amies, dans cet hiver « qui impose de vivre au rythme d’autrefois » et qui protège encore la vallée du reste d’un monde « aux aguets ». Alors qu’une route en construction rapproche le Zanskar du reste de l’Inde en toutes saisons, le film offre un témoignage fort et lumineux sur un mode de vie en voie de disparition.
Déblayer la neige, préparer les repas, les rites, prier, coudre… les jours des nonnes de Tungri s’écoulent paisiblement, entre éclats de rire et réflexions sur leur vie, leurs craintes, leurs espoirs, devant la caméra de Caroline Riegel qu’elles ont appris ensemble à apprivoiser. « Je ne me fais pas oublier, on est dans l’instant présent et quand une des nonnes parle à la caméra, elle dit peut-être des choses plus en conscience », note la réalisatrice qui réussit formidablement à dévoiler un peu de l’intimité de ces femmes simples mais extra-ordinaires, qu’on aimerait à son tour avoir pour amies.
Une intelligence du coeur et de l’esprit
Originaires du village, ces nonnes, âgées d’une vingtaine d’années pour Djorkit à plus de 85 ans pour Abi Pele, ont choisi la voie monastique à l’adolescence. Malgré un dénuement total et des conditions climatiques très difficiles en hiver, toutes dégagent une sérénité communicative. Même la doyenne, qui redoute le froid et se désole de n’être plus bonne qu’à prier. « Elles représentent l’humanité et c’est d’autant plus remarquable qu’elles ne sont pas érudites, comme d’autres nonnes, souligne Caroline Riegel. Mais elles ont une grande intelligence du coeur et de l’esprit. » Lors de leur venue en France après la sortie des Semeuses de Joie, la réalisatrice a constaté à chaque rencontre avec le public les mêmes effets. « Je voyais des visages différents, quelque chose qui brille tout à coup un peu plus, quelque chose d’une grande intensité ».
Mais la vie en huis clos, aussi paisible soit-elle, réserve parfois des déflagrations inattendues, comme la fuite de la jeune Sonam lorsqu’elle découvre sa grossesse. Et c’est grâce au collectif, pivot de leur petite société, que toutes surmontent les aléas qui fragilisent une communauté déjà en sursis. « C’est un travail et des efforts au quotidien pour garder cette vie. Les nonnes partagent aussi bien la joie que la souffrance ou la colère. On vibre, on réfléchit, on ressent de manière collective. Elles ont conscience de leur bonheur, qui est une valeur fondamentale du bouddhisme. »
Obligée de partir en catastrophe en raison de la pandémie à l’issue de son hivernage, Caroline, qui vit chaque séparation comme un « arrachement au bonheur », n’espère qu’une chose : retourner au plus vite à Tungri « pour faire un petit bilan et permettre à tout le monde d’apprivoiser ce qui a été fait, les travaux pour améliorer les cellules, la pose de panneaux solaires… » Des réalisations, comme la création d’une école, qui ont abouti grâce à l’association Thigspa (« goutte d’eau » en tibétain) qu’elle a créée il y a bientôt 10 ans. « Les nonnes n’ont aucune ressource. Moi je récolte un matelas financier pour les aider, pour les soins, pour qu’elle vieillissent toutes avec douceur. Aujourd’hui je suis contente car on a réussi à entraîner le village pour s’impliquer dans la nonnerie. Les gens viennent les aider à déblayer la neige, couper l’herbe, faire des petites choses. Les liens se sont renforcés et le respect est venu. »
Un beau livre hommage aux Semeuses de joie
La jeune femme ne ménage pas ses efforts pour y parvenir. Ingénieure en construction hydraulique, elle alterne travail sur les chantiers de barrages, mois sans solde et mi-temps pour faire avancer les projets. En même temps que le film, la version beau livre de Semeuses de joie, recueil photographique, entre « hommage » et « déclaration amoureuse », est sorti en octobre dernier chez Hemeria, grâce au financement participatif de plus de 700 donneurs. Vingt pour cent des bénéfices sont reversés à la nonnerie.
Et puis il y a les festivals, pour la rencontre avec le public, pour les connexions en direct avec Tungri, pour raconter cette amitié hors du commun et cet exemple d’humanité qui ne tient plus qu’à un fil. Caroline est intarissable ! Mais comment pourrait-il en être autrement ? « La rencontre avec les nonnes dépasse mon entendement, conclut-elle. Pour elles, c’est forcément lié à une ancienne vie ! »